Xavier Coumau : « Les courtiers assurent 70 à 80 % du marché »

Xavier Coumau a quitté la présidence du syndicat des courtiers de Bordeaux, de la Gironde et du Sud Ouest après dix ans de mandat. Si le métier s’est adapté, et attend encore des évolutions légales,
il demeure un acteur incontournable de la filière pour alimenter les marchés du négoce.

Union Girondine

Xavier Coumau est un homme pressé. Courtier depuis plus de 25 ans, il sillonne l’est de la Gironde de Sauveterre à Sainte-Foy-la-Grande. «On dit souvent d’un courtier que son principal bureau est sa voiture. Il y a des courtiers de Gironde qui font 70 000 kilomètres dans l’année. » Il regarde son écran d’ordinateur : « Je vous demande un instant, je dois répondre à la demande d’un négociant. »

 Xavier Coumau, vous quittez la présidence du syndicat des courtiers de Bordeaux et de la Gironde. Cédric Roureau a été élu à votre suite (lire page 22). Comment évolue votre métier ? 

À Bordeaux, nous avons deux figures de courtiers bien différentes. Le "courtier de campagne" assure beaucoup de dégustations, fait une sélection de cuves de qualité. Nous avons aussi un rôle de conseil auprès du vigneron et de l’œnologue pour signaler les attentes du marché indiquées par le négoce. Le "courtier grands crus" est davantage dans la préconisation des acheteurs en fonction des destinations possibles. Il intervient dans les achats de bouteilles pour le négoce

Quelles sont les qualités principales d’un courtier ?

De bonnes connaissances du vin. Certains courtiers sont œnologues de formation. Mais rien ne vaut le terrain. La dégustation est un exercice de mémoire. C’est un métier qui demande de la discrétion, de la curiosité, d’être en éveil. S’il n’y avait ce stress de trouver des acheteurs pour les vendeurs, vivre le plaisir de la dégustation, découvrir une cuve, participer à sa mise sur le marché, c’est un bonheur !

Vous êtes des acteurs discrets et peu nombreux ?

En France, nous sommes à peu près 300 courtiers en vins et spiritueux. Sur Bordeaux, nous sommes une petite centaine : 90 en activité, et 73 adhérents au syndicat. Le courtage est important là où il y a une implantation forte du négoce. En Val de Loire ou en Languedoc, le négoce est moins présent, et le courtage y est donc moindre.  Le courtier est une femme ou un homme de l’ombre. Autrefois, l’activité était constituée de solitaires, secondés par leurs épouses pour la partie comptable et administrative. Aujourd’hui, nous avons des bureaux de 10 à 15 courtiers qui assurent courtage de campagne et de grands crus.

 " Le marché du vrac a connu une révolution en dix ans "

Quelle est votre mission principale ?

Nous sommes les garants moraux d’une transaction entre un viticulteur et un négociant. Nous avons pour habitude de dire : "La parole vaut l’homme, sinon, l’homme ne vaut rien." C’est pour cela que notre signature fait foi et est reconnue par les tribunaux.

Le courtier de campagne par exemple repère les vins qu’il a dégustés tout au long de leur évolution. Il les mémorise. Quand un négociant le sollicite, il intervient dans la négociation avec le viticulteur. L’intérêt du courtage, est cette négociation à trois, et de parvenir à un accord.

Cela ne peut fonctionner que si le courtier est indépendant. Ce qui fait notre force, c’est notre indépendance. Et si nous voulons durer dans le temps, il faut que les deux parties que l’on a mises en relation y gagnent. »

Comment regardez-vous cette volonté de contrats entre acheteurs et vendeurs ?

On nous parle de contractualisation de la relation. Je le conçois. Mais il vaut mieux un bon courtier qu’un contrat avec des clauses restrictives qui soient source de conflits. À Bordeaux, le courtier assure des contrats moraux, et permet une souplesse des relations dans le temps.

On ne prend pas de risque, nous ne portons pas de stocks. Nous sécurisons les risques des acheteurs. Et quand une transaction est assurée via un courtier, il est très très rare qu’elle fasse l’objet d’un contentieux. De ce fait, nous sommes aussi une garantie pour le vendeur.

Pourquoi le négoce continue-t-il d’utiliser vos services dans la prospection et ne l’assure-t-il pas lui-même ?

Il pourrait le faire. Mais à 70 courtiers, nous connaissons la production des 6 000 viticulteurs de Gironde, nous sommes allés dans toutes les propriétés. Nous avons goûté des milliers de vins. Nous connaissons le marché. Si un négociant veut se doter d’un tel réseau, cela lui coûtera très cher. Alors que nous sommes des salariés qui ne coûtent que 2 % de la transaction à l’acheteur.

 Vous êtes rémunérés à la commission, donc vous avez intérêt à ce que le prix de vente soit élevé. Aujourd’hui, entre prix bas et baisse de volume, comment s’en sortent les courtiers ?

Cette année, entre la crise que connait Bordeaux, et la baisse des ventes liée au Covid, nous avons des courtiers qui enregistrent des baisses de chiffre d’affaires de - 30, - 40, voire - 50 %. Le négoce a moins acheté, et il a pu un peu déstocker.

Si les courtiers grands crus s’en sortent, les courtiers de campagne sont mis à mal. La particularité de notre métier est que nous ressentons tout de suite les effets du marché.

Nous sommes toujours dans l’obligation de trouver des solutions. En 2020 par exemple, j’ai vendu beaucoup de moût. Je ne l’avais jamais fait en 25 ans. Cette adaptabilité fait notre force. Mais pour parvenir à s’en sortir, il faut disposer d’un carnet d’adresses en amont et en aval.

Votre profession, qui est au contact immédiat de la viticulture et du négoce, est un véritable thermomètre de la filière. Comment analysez-vous ce "Bordeaux bashing" qui a touché le vignoble ?

Cette crise que nous traversons, ceux qui ont 70 ans ou davantage nous disent que ce n’était pas aussi difficile dans les années 1972-1975. Ce Bordeaux bashing, c’est inédit. Ce n’est pas venu d’un coup. Cela nous a impactés à partir de 2016. Nous étions très forts sur la grande distribution, très forts pour répondre à la demande des retraités. Et ces deux marchés ont souffert.

Le consommateur recherche aujourd’hui de la découverte, des pépites. Le système de l’AOC donne un cadre classique. Et ceux qui expérimentent sortent parfois du cadre. Nous assistons donc à une multitude d’initiatives que le négoce a plus de mal à s’approprier.

Face à la crise, on voit que le terrain réagit, parfois en ordre dispersé, et que pour autant ces initiatives font face à une certaine inertie. Le vignoble est composé d’une somme de 6 000 artisans sur 112 000 hectares. Vous pouvez avoir de la réactivité dispersée, mais l’ensemble est un véritable paquebot. Les virages demandent du temps.

Vous êtes spécialisé dans le vrac, ce segment semble souffrir davantage que les autres. Vous avez une explication ?

Sur les grands crus, il y a un respect des usages. Les négociants sont établis depuis des décennies. Mais sur le marché du vrac, il s’est opéré une révolution en dix ans. Il y avait 10 ou 15 négociants qui faisaient 80 à 85 % du marché. Quand deux ou trois s’engageaient, les autres suivaient la tendance.

Les caves coopératives se sont positionnées sur ce marché. Et à la même période, des vignerons avec d’importantes superficies ont aussi pris des cartes de négoce et se sont invités sur le marché.

Cela a eu pour effet de démultiplier le nombre d’acteurs sur Bordeaux. La stabilité des relations que le négoce avait avec ses acheteurs a été bousculée. Et tout le monde s’est mis à tout faire.

" Des sources d’optimisme Bordeaux en possède "

Il ne faut pas croire que cette attitude est propre à la viticulture, c’est le reflet de la société. À la même période, les banquiers se sont mis à vendre des assurances et les assurances des produits financiers.

Résultat, la visibilité du marché du vrac s’est assombrie plutôt que de s’éclairer. Et les courtiers dans tout cela ? Ils se sont adaptés. Les caves sollicitent aussi leur action sur certains marchés.

Comment voyez-vous évoluer le marché, et quels sont ses atouts ?

Il n’y a pas un modèle gagnant. Certains font 100 % de leurs ventes en distribution propre. D’autres, 100 % via le négoce. Mais il y a une réalité : beaucoup, proche de la retraite, vendent 100 % en vrac. Et ce modèle, j’ai peur qu’il ait peu d’avenir. Sans doute faut-il mixer ses productions : un peu de bouteille, un peu de vrac.

Sur les sources d’optimisme, Bordeaux en possède. Il y a de très bons blancs, qui hélas ne sont pas sur les tables locales. En rouge, Bordeaux produit de superbes vins sans sulfite. On sent un respect du raisin, et quand on le fait goûter aux personnes novices ou qualifiées, on observe les réactions positives. Sur ce créneau, il y a de belles perspectives.

 Comment imaginez-vous l’avenir de votre profession ?

Quand j’ai commencé, voici 25 ans, mon père me racontait que son père et son grand-père disaient que c’était un métier qui allait disparaître…

Si nous nous adaptons à cette évolution du marché, nous avons encore toute notre place. Nous étions en attente depuis 2015 d’un décret du gouvernement pour permettre l’examen de courtier. Lequel a enfin été publié le 15 octobre au Journal officiel. Des courtiers ne pouvaient partir en retraite faute de repreneurs diplômés. Et ceux qui envisagent ce métier sont salariés de cabinet de courtage faute d’examen. Cet arrêté va permettre un renouvellement de génération.

Propos recueillis par  Emmanuel Danielou