Sauternes et Barsac : créativité et solidarité pour surmonter les difficultés
C'est une région particulièrement touchée par les derniers événements climatiques du mois d’avril.
Et les assurances laissent un goût très amer avec leurs calculs basés sur les moyennes quinquennales. Mais si cela avait été le seul !
Depuis cinq ans, chaque année apporte son lot d’intempéries. Nous sommes allés à la rencontre des viticulteurs de l’appellation.
Ici, la capacité de résilience de ces viticulteurs est impressionnante.
Florence et Michel Bernard nous accueillent au château Gravas (Barsac). L’ambiance n’est pas sombre, mais les in- quiétudes bien présentes. Gravas c’est un lieu d’accueil, un « Best of Wine Tourism » d’or. Leur souci semble être leur succession : « Qu’allons-nous laisser à nos enfants ? ». Michel approche de l’âge où la question peut se poser. « Nous ne sommes pas sûrs que ce soit vraiment un cadeau pour eux. » Ils ont deux filles, toutes deux dans le secteur viticole ou proche de celui-ci. Ils font la différence entre leur arrivée au domaine et le moment présent : « La paperasse qui nous prend un bon tiers de notre temps, la commercialisation plus difficile, les contraintes plus nombreuses, le temps qui semble se rétrécir au fil du rasoir d’internet… Et si en plus les conditions climatiques changent vraiment ? »
Autant d’interrogations qui ne les empêchent pas de mettre un pied devant l’autre. Le gel, ils l’ont vécu et dépassé, l’élan de solidarité entre viticulteurs barsacais n’est pas un vain mot. Ils partagent un groupe Whatsapp, « L’antigel barsacais ». Ils ont ainsi affronté l’épisode moins seuls et ce fut important. Ils regardent déjà vers demain, le peu de récolte dû à la grêle de 2019 s’est déjà transformé en une nouvelle cuvée : Douce France de Gravas. C’est un geste d’espoir : créer pour surmonter les aléas du temps.
À quelques kilomètres, à Preignac, Éric Pothier a le regard triste. Son vignoble au bord de l’autoroute a particulièrement souffert. Les vignes en ce début mai ne donnent pas signe de vie, les vieux sémillons en particulier. Coopérateur pour une partie de son vignoble, actif dans ses engagements, il est devenu vice-président de la cave de Tutiac lorsque cette dernière a rejoint le projet du Sauternais. « La présence d’une cave coopérative est un plus. Elle permet à de petits propriétaires de trouver une issue pour leur exploitation sans pour autant avoir à conduire la modernisation des chais, devenue hors de portée pour eux. Elle évite également la production de vins de faible qualité. »
Quatre ou cinq nouveaux viticulteurs se sont installés en adhérant directement à la coopérative, ce qui lui procure une vraie satisfaction, cela fonctionne. Mais il revient au gel : « Fin mars, nous étions en tee-shirt dans les vignes, une semaine après il fait - 9°. La nature semble nous échapper. Encore, si c’était un sinistre passager, mais là, depuis 2017 c’est récurrent… » Il reste positif, il évoque tous les changements mis en œuvre depuis qu’il est coopérateur. « J’ai entamé une conversion en bio, planté plus de 300 mètres de haies, je vois mon métier d’une façon différente. Le Sauternes est lui aussi différent d’hier, plus de fraîcheur, moins de solennité. » Retrouvant un peu de sourire, il conclut : « Le vrai défi pour le Sauternais est de faire aboutir les solutions qui existent (parfois depuis longtemps) et pas nécessairement d’avoir de nouvelles idées. »
Passage à Bommes, chez les Charrier, au domaine de Carbonnieu, 23 hectares (un îlot de 5 hectares et 89 autres parcelles !). Alexis a 34 ans, il s’occupe de la partie commerciale, son frère Christophe, 46 ans, s’occupe de la vigne. Ils ne sont pas abattus, loin s’en faut. L’équilibre financier de la propriété se joue encore sur les ventes au négoce et ils tirent assez bien leur épingle du jeu.
Touchés, ils le sont comme les autres, mais ils restent motivés, car une jeune clientèle s’intéresse à leurs vins. Ils les déclinent dans tous les formats, les plus accessibles étant conditionnés en Bag-in-Box de trois litres pour les moments festifs ! Et cela fonctionne… Ils iront jusqu’à lancer un tonic-Sauternes pour cet été. La création bat son plein, et l’impulsion donnée par cette génération paraît tout à fait exceptionnelle dans un vignoble qui garde encore son image traditionnelle.
Marie-Pierre Lacoste-Duchesne est œnologue et ingénieur agronome. Revenue en 2007, elle dirige la propriété à La Clotte-Cazalis (Barsac). De son propre aveu, elle a mieux encaissé ce gel d’avril (même si son vignoble est touché à 100 %) que celui de 2017, elle le vit d’une façon moins "mortifère". L’ingénieure est peu inquiète pour l’état de ses vignes. La propriété a du stock, commercialement, il n’y aura pas de rupture de marché.
Elle adhère largement au mouvement qui se dessine tout aussi bien pour l’évolution des styles de vin que celle de la conduite des propriétés : « La solidarité entre viticulteurs s’est améliorée en peu d’années : prêt de matériel, groupe Whatsapp… »
Elle reste convaincue qu’il suffit de faire revenir le consommateur à Sauternes : « C’est aux viticulteurs de redynamiser leur territoire par tous les moyens à leur disposition. Le négoce fera son travail lorsque la demande sera là… » Il faut souligner que Marie-Pierre a plus d’une corde à son arc. Elle a développé avec ses frères une activité de séminaire et reste consultante pour d’autres propriétés. Cette diversification la rassure et lui donne de l’élan. Elle évoque en souriant l’éolienne du château d’Arche qui a réveillé ses voisins et déclenché quelques lignes dans la presse : « Ce fut un manque de communication, né du manque de temps ».
À Lugaignac, David Siozard, avec son frère Laurent, ont fait l’acquisition du château Lapinesse en 2011. Le regard de ces frères jumeaux s’était tourné vers Saint-Émilion pour la diversification de leur gamme. Mais devant les prix du foncier, ils ont opté pour Sauternes.
Aucun regret pour David, qui a commencé par travailler pour une société de négoce à l’international avant de rejoindre la propriété familiale. Leur clientèle n’avait pourtant pas l’habitude d’acheter ce type de vins. Mais l’appétit vient en dégustant et en faisant découvrir avec simplicité ces vins de l’autre rive. En haut de gamme, un grand liquoreux, vient ensuite un vin plus vif, plus approprié à une consommation régulière, apéritive par excellence.
Le climat détestable de ces dernières années les inquiète comme tout le monde : « Il va falloir investir, peut-être collectivement sur des moyens de protection, pourquoi pas des éoliennes financées par plusieurs propriétés ? » Ils apprécient la dynamique insufflée par des crus comme celui de Sylvio Denz, ou le château d’Arche, et restent confiants dans l’avenir de l’appellation. Pour eux Sauternes et Graves représentent une diversification réussie.
Jeune co-président de l’appellation, Jean-Jacques Dubourdieu à Doisy-Daëne (Barsac) est un enfant du pays : « Nous avons un vieux vignoble et la gelée n’est pas tendre avec les vieux ceps, mais c’est aussi avec eux que nous faisons de grands liquoreux. » Son souci, en compagnie de son alter ego David Bolzan, est de faire avancer l’appellation Sauternes, et bien entendu celle de Barsac, d’un seul élan.
Il faut donc concilier tous les univers, de la coopération au must de l’appellation, le château d’Yquem. « L’équation de Sauternes est plutôt bonne, c’est un petit marché en vo- lume et il suffira de peu de choses pour le re- dynamiser. Le gel peut nous rendre ce service de valoriser une production à sa juste valeur. Dans ce cas, cela aura été un mal pour un bien, fusse-t-il durable. » Le pôle œnotouris- tique évoqué est l’un des facteurs qui peut assurer le retour d’une clientèle qui n’est plus solicitée. « Il faut être attrayant pour que les consommateurs redécouvrent ou découvrent nos vins, notre région. »
Il faut sans doute faire confiance à cette jeune génération, il y a dans l’appellation Sauternes de belles dynamiques à l’œuvre, il appartient à tout un chacun de s’y associer. Mais en attendant tout cela, les estivales de l’appellation se préparent pour une sai- son d’été "libérée" du Covid. Elle ne fera pas oublier ce printemps calamiteux, mais elle aura le mérite de conforter les espoirs qui ne cessent de germer au cœur du Sauternais.
Bruno Boidron