Les primeurs se déroulent du lundi 30 mars au jeudi 2 avril. Un événement majeur pendant lequel l’Union des grands crus de Bordeaux (UGCB) joue le rôle de locomotive. Et mobilise nombre d’appellations (lire le programme pages suivantes). L’édition à venir pourrait connaître une moindre fréquentation. « À ce jour, par rapport à l’année dernière, nous avons 10 % d’inscriptions en moins. Il n’y a donc pas le feu à la maison. Il faut rappeler que nous avons beaucoup d’acheteurs européens. »
Voici bientôt un an, Ronan Laborde (Château Clinet à Pomerol) était élu à la présidence de l’Union des grands crus de Bordeaux. L’association, qui compte 134 domaines, organise deux manifestations majeures pour le monde du vin : les primeurs (du 30 mars au 2 avril) et le Week-end des Grands Crus (qui se déroulera du 18 au 20 juin), mais aussi de nombreux événements dans une quinzaine de pays du monde. Rencontre avec un jeune président qui insiste pour rester optimiste.
Union Girondine : Ronan Laborde, les taxes US, le coronavirus, le Brexit sont des coups portés à la filière viticole. À la tête de l’Union des Grands Crus de Bordeaux (UGCB), vous organisez les primeurs. L’ensemble de ces événements nuisent-ils à la bonne marche de ce rendez-vous ?
Ronan Laborde : Aujourd’hui, par rapport à l’an dernier, nous ne connaissons pas d’effondrement de la fréquentation. À un mois des primeurs, nous enregistrons une baisse des inscriptions de 10 %. Il n’y a donc pas le feu à la maison. Et nous savons que nous pouvons avoir une hausse des inscriptions dans les dernières semaines.
Nous avons beaucoup d’acheteurs européens. La baisse de fréquentation vient surtout du grand export. Un peu des États-Unis où les taxes bousculent le marché. La majoration de 25 % a été reconduite pour six mois. C’est cette instabilité qui crée de l’incertitude. Et nous connaissons effectivement une baisse des inscriptions venant de Chine.
Mais cette année encore, les primeurs seront un événement de communication et de commerce des vins de Bordeaux. Un grand nombre de professionnels va se déplacer pour jauger du millésime 2019. Et cet événement, nous le devons à l’Union des grands crus de Bordeaux. Je tiens à souligner que ce qui nous importe est la qualité de notre visitorat. Les primeurs ne sont pas des portes ouvertes, notre marqueur tient à la fréquentation professionnelle.
U. G : Le marché chinois est un poumon économique des grands crus. Quelles relations avez-vous avec les clients qui font face à la pandémie ?
R. L : En ce moment, nous prenons beaucoup de nouvelles de nos amis asiatiques par des appels et des messages. De la même façon que nous avons reçu beaucoup de messages de soutien de leur part lors de l’incendie de Notre Dame de Paris il y a un an. À cette époque, ils nous avaient appelés, transmis des messages ou des courriers pour nous dire combien ils étaient touchés par cet incendie d’un joyau du patrimoine français. Et je sais aussi combien ils s’étaient montrés solidaires au moment des attentats. C’est à nous aujourd’hui de faire preuve de compréhension et de soutien face aux épreuves qu’ils traversent.
U. G : Les délégations chinoises étaient très nombreuses l’an dernier. Elles vont manquer à l’appel en 2020. Cela déstabilisera-t-il le marché ?
R. L : Les délégations les plus importantes venant de Chine, ce fut en 2011 et 2012. Le marché était en éclosion, et très atomisé, avec une multitude d’acteurs. Depuis, il s’est davantage structuré. Mais cela demeure un marché relativement jeune qui vit son évolution. La Chine achète assez peu en primeurs, mais la Chine, Hong Kong ou Macao sont des marchés importants pour les livrables.
Les principaux acheteurs pendant les primeurs sont les négociants de Bordeaux, de France, les acheteurs européens et américains.
Nous constatons une conjonction d’événements. Le monde se resserre, des barrières douanières se dressent là où l’on avait une relation de quasi libre-échange. Et la pandémie qui arrive est une préoccupation. Pour autant, il faut prendre de la distance. Je suis viticulteur à Pomerol et à Tokay en Hongrie. Quand je vois les atouts de Bordeaux dans le secteur de la recherche viticole, dans les capacités du négoce, dans l’attractivité de la ville, je suis optimiste et pragmatique : le vin de Bordeaux n’a jamais autant été diffusé dans le monde.
U. G : On ne s’en rend pas forcément compte de prime abord, mais quel est le rôle et le poids des primeurs dans l’économie des grands crus ?
R. L : Les 134 membres de l’Union des grands crus de Bordeaux vendent en primeur. Dans mon cas personnel, à Clinet, 97 % des ventes se font en primeur, nous conservons 3 % de nos volumes pour les dégustations et quelques ventes fidélisées. Typiquement, ce modèle, beaucoup de mes confrères l’ont au niveau des grands crus.
U. G : Cela veut donc dire que vous avez une action commerciale concentrée dans l’année, et qui explique que vous n’étiez pas présents à Vinexpo Paris ?
R. L : Nous n’avons pas une politique de salons, à part trois exceptions : Vinexpo Bordeaux, Vinexpo Hong Kong et Prowein. La particularité de l’Union est que nous sommes des producteurs qui font goûter leurs vins, et qui ne souhaitent pas déléguer cette fonction à des agents externes. Pour autant, nous avons une relation au terrain tout au long de l’année. Là, je rentre d’une tournée au Benelux. Nous étions à Amsterdam, Bruxelles et Gand.
Neuf pays concentrent 75 % des grands crus. Nous avons deux grandes missions commerciales sur deux grandes zones. L’Asie, avec la Chine, Hong Kong, Macao, Taïwan, le Japon, la Corée du sud et Singapour. L’Amérique du nord avec Montréal, Toronto, New York, Chicago, Los Angeles et San Francisco. Nous visons aussi le Texas avec Houston, Seattle, Washington DC et Miami.
Enfin, tous les ans, nous nous déplaçons en France, au Benelux, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Suisse, mais aussi en Russie.
U. G : Pourquoi cette démarche de terrain ?
R. L : Nous avions la conviction que nos vins avaient besoin de prescription, et de favoriser la vente via les circuits prescripteurs : cavistes, restaurateurs, sommeliers.
Nous proposons à la vente un produit qui est aussi culturel, social, patrimonial, et qui s’accompagne d’une histoire. Nous sommes dans l’illustration d’un produit plaisir. Et les gens ont besoin d’éclairage pour que nos messages passent bien. Ce n’est pas propre aux grands crus de Bordeaux, mais à tous les produits qui ont besoin des outils du marketing d’aujourd’hui. Et cela passe aussi par un accompagnement sur le terrain.
U. G : L’an dernier, après Vinexpo Bordeaux, il s’est murmuré une concentration des événements. A savoir la semaine des primeurs et Vinexpo Bordeaux à la même période. Qu’en était-il ?
R. L : Nous avons eu des discussions avec Rodolphe Lameize, directeur de Vinexpo, dès sa prise de fonction. Nous n’étions pas opposés à la réunion des primeurs et de Vinexpo. Mais nous avions une mise en garde, car parmi les 6 000 clients qui participent à l’animation des primeurs, figurent l’ensemble des négociants de Bordeaux, soit plus de 700 personnes. Pouvaient-ils faire face à la combinaison des deux événements ?
Il faut garder à l’esprit que la partie visible des primeurs se déroule pendant une semaine. Mais pour les propriétés, pour les négociants, c’est une mobilisation de trois semaines. Cela pouvait donc sembler difficile à mettre en œuvre. Nous étions favorables à une concentration des événements, mais ce n’était pas aussi simple que cela.
Il revenait donc au négoce de manifester une volonté de réunion des deux événements, lequel n’a pas retenu la proposition.
U. G : Après un an à la tête de l’UGVB, comment vivez-vous cette présidence, et qu’avez-vous apporté ?
R. L : C’est un grand honneur et une immense responsabilité de représenter l’association et ses membres.
Je poursuis la voie tracée par mes prédécesseurs. Il y a beaucoup de travail, quelques turbulences ces derniers mois, mais nos membres sont formidables et participatifs.
En Belgique, nous étions 104 domaines de production présents (sur 134). Nos actions ont du sens, et nous considérons que l’union fait la force. EN plus, nous sommes dotés d’une équipe commando au travail. Et nous avons cet état d’esprit car la conjoncture ne nous invite pas à nous reposer.
Sur les évolutions récentes, il y a trois axes :
• Le développement de l’offre lors de nos événements, comprenant une « grande dégustation », mais aussi des ateliers, conférences ou encore Master Class.
• L’accroissement de notre communication numérique, au travers d’un magazine en ligne (Vintage By UGCB), de la production de courts métrages, notamment.
• La création d’une formation spécifique à la connaissance des Grands Crus de Bordeaux, en partenariat avec l’Institut des sciences de la vigne et du vin (ISVV).
Par ailleurs, nous encadrons encore davantage la démarche éthique de nos membres, en la formalisant au travers de notre programme « Etiq’Union ».
La première démarche a consisté à nous accorder sur les pratiques culturales conformes à la qualité et au respect de l’environnement, pour le bien-être de notre terroir, de nos collaborateurs, de nos familles et bien sûr des consommateurs.
Propos recueillis par Emmanuel Danielou