Quel futur pour les raisins et les vins ?
Les impacts des différents stress
Le futur du vin sera marqué par les différents stress que subira la vigne. Qu’il s’agisse de stress lumineux, hydrique ou thermique de jour, de nuit, sur une courte période ou sur une vague de chaleur, les impacts de ces différents stress sur la physiologie de la vigne, sa croissance et la composition des baies de raisin sont nombreux.
Ce vaste sujet a été étudié par Julia Gouot, aujourd’hui chargée de R&D au sein de la cellule de transfert Vitinnov (ISVV à Bordeaux), lors de ses travaux de thèse menés à Charles Sturt University à Waga-Waga en Australie. « Ces travaux, précise la chercheuse, ont notamment permis de mieux connaître ces impacts sur les baies de Syrah, mais aussi de cerner les températures seuils de non-réversibilité des dégâts observés et de dégager des pistes d’action prenant compte les itinéraires techniques. À noter que les différents paramètres mesurés l’ont été en conditions contrôlées sous serre, par chauffage des grappes individuellement, car il est en effet trop aléatoire d’attendre une canicule ou une vague de chaleur pour réaliser de tels travaux de recherche. »
Ainsi pour ce qui concerne les températures, les paramètres étudiés ont été les températures extrêmes mais aussi les écarts de température jour/nuit, la fréquence, l’intensité et la durée de la température maximale ainsi que le stade végétatif et celui du développement des baies au moment des pics de températures.
Pour les températures nocturnes par exemple, il en ressort que lorsqu’il fait chaud la nuit, les impacts sur les baies de raisin concernent d’abord l’acidité, avec une dégradation de l’acide malique encore plus conséquente que lors des pics de chaleur en journée. Les températures nocturnes élevées limitent aussi la synthèse des composés phénoliques et plus particulièrement celle de certains flavonoïdes, ceux qui donnent la couleur rouge aux vins, dont le métabolisme est induit la nuit. Le potentiel aromatique peut lui aussi diminuer à cause d’une baisse de l’expression des enzymes permettant la synthèse des arômes et de leurs précurseurs dans le raisin.
Menés sous serre en condition contrôlée et sans limite d’alimentation en eau de la vigne, les essais australiens ont aussi permis de simuler une vague de chaleur avant et après véraison. Dans le premier cas, il ressort que si une vague de chaleur survient pendant 1 à 3 jours avant véraison, la température seuil létale mesurée à la surface de la baie est de 40 à 43 °C. En dessous de cette plage de température, il n’y a pas de dégâts sur les baies et très peu d’effet sur leur composition et leur taille. Et s’il y en avait, ces dégâts auraient disparu à la vendange. Pour autant, le développement des pépins est retardé et on observe une baisse de la teneur en tannins des baies. En revanche, si cette température est supérieure à 40-43 °C, le constat est tout autre puisque le développement des baies est impacté, avec des gros dégâts et des nécroses conduisant à un dessèchement total de la baie, puis à une perte irréversible sur la récolte future.
Une température létale supérieure en post-véraison
Si la vague de chaleur survient en « post-véraison », la température seuil létale se situe à plus de 50 °C. L’essai montre qu’en dessous de cette température appliquée entre 1 et 3 jours, aucun effet n’a été noté, que ce soit sur le développement des baies, les composés phénoliques et leur facilité d’extraction. Au-delà de cette température, de nombreux effets ont été observés : nécroses, baisses de teneur en tannins dans les peaux et les pépins. Cela dit, si la vague de chaleur arrive peu de temps avant les vendanges, il reste encore quelques baies très confiturées à récolter. Quant à l’effet potentiel sur le vin d’une telle vague de chaleur, il a été étudié à partir d’essais de microvinifications menés sur des raisins ayant subi une vague de chaleur à plus de 54 °C pendant 2 jours, juste avant vendange. Les baies obtenues étaient donc artificiellement nécrosées, très confiturées et de couleur marron. L’essai n’a montré aucune différence entre un vin de vendange « saine » et un vin avec 10 % de baies nécrosées incorporées. En revanche, à partir d’un taux d’incorporation dans une vendange saine de 20 % de baies nécrosées, des différences significatives ont été observées : augmentation d’éthanol, baisse d’acidité, effet sur la couleur avec réduction des anthocyanes, vin plus oxydé dès la fin de la vinification.
Le feuillage, meilleur ami du vigneron
Quant aux leviers d’adaptation et d’atténuation à mettre en œuvre à la vigne et au chai pour tenter de pallier ces effets, la chercheuse a dressé une liste assez complète issue de ces travaux australiens. Il en ressort qu’à la vigne, où l’irrigation est autorisée, l’enjeu est de garder un statut hydrique adéquat, avec par exemple, la préconisation d’irriguer juste avant les vagues de chaleur. Au niveau des grappes, la possibilité d’avoir de l’ombrage au-dessus des vignes ou d’utiliser des produits anti-transpirant de type « crème solaire » figure aussi dans la liste. Ces différentes méthodes ont été classées selon leur efficacité à réduire la température à la surface de la baie. Ainsi, les méthodes d’aspersion peuvent réduire de 2 à 5 °C la température de l’air du feuillage et de 4 à 6 °C celle à la surface de la baie. Les méthodes dites « crème solaire », basées sur l’application de kaolin qui joue le rôle d’écran de protection solaire, réduisent entre 1 et 3 °C la température au niveau du feuillage et selon certains essais, la température peut même baisser de 6 à 10 °C à la surface de baies.
Pour l’irrigation, la baisse sur le feuillage et les baies se situe entre 1 et 2 °C. Pour les voiles d’ombrage, la réduction est très élevée, soit une baisse de 10 à 17 °C à la surface de la baie mais, conclut la chercheuse « on voit ici très clairement que le meilleur ami du vigneron ce sont les feuilles. Certes, en manipulant les feuilles on ne change pas directement la température de l’air et du feuillage, mais c’est en faisant de l’ombre sur les baies que l’on peut baisser de 10 à 17 °C la température à leur surface ».
Le porte-greffe, levier d’adaptation à la sécheresse
Le futur du vin sera aussi marqué par la capacité des porte-greffes, et tout particulièrement de leur système racinaire, à tolérer la sécheresse. Elisa Marguerit, enseignante-chercheuse à Bordeaux Sciences Agro-ISVV, a donné un aperçu des pistes de la recherche française sur la question. La première vise à créer de nouveaux porte-greffes par voie de sélection par croisements. La seconde consiste à caractériser et à évaluer les porte-greffes existants à partir du dispositif GreffAdapt (voir son article pages 38 à 44). Selon la chercheuse, GreffAdapt devrait aboutir à des résultats plus rapidement que la création de ressources génétiques. Par ailleurs, cette observation du comportement des porte-greffes est aussi le sujet central de PGVIGNE.net, une vaste analyse lancée récemment au niveau national. Coordonnée par l’IFV, cette étude financée par le Plan National de Dépérissement de la Vigne a notamment pour objectif de compiler et d’analyser les résultats d’essais déjà menés sur 75 parcelles expérimentales réparties dans toute la France.
La précipitation de quercétine traitée par voie enzymatique
Dans certains cas, le futur du vin s’observe déjà à travers le comportement des cépages sur le terrain. C’est ce qu’a étudié une équipe italienne avec le sangiovese, dont la sensibilité déjà reconnue à la précipitation de quercétine semble augmenter avec le changement climatique, au point qu’à terme, elle pourrait concerner d’autres cépages peu sensibles jusqu’à présent.
La quercétine est un composé phénolique dont la forme glycosylée est plutôt soluble dans le raisin et le vin mais elle se dégrade au cours de la fermentation en quercétine non glicosylée, laquelle est en revanche très peu soluble au point de précipiter en dépôts gris. Pour l’heure, les effets sensoriels de cette précipitation sont encore peu documentés. L’étude italienne, présentée par le professeur Simone Vicenzi de l’Université de Padoue, a testé avec succès le traitement de la précipitation de quercétine par voie enzymatique. Cette piste, qui serait sans effet significatif sur la couleur des vins, constituerait une alternative au traitement à la PVPP d’autant plus intéressante qu’elle serait utilisable sur les vins bios.
Le futur des nouveaux équilibres microbiens
On sait donc que le futur du vin sera marqué par des adaptations et des changements dans les pratiques viticoles et vinicoles. Or, ces modifications vont elles-mêmes impacter les équilibres microbiens dans le sol, sur les pieds de vigne, dans le moût et dans le vin.
Sur cette thématique, Sara Windholtz, chercheuse à l’UMR Œnologie-ISVV, a cité les recherches actuellement menées pour mieux comprendre l’impact, jusqu’aux vinifications, de l’implantation des variétés résistantes aux maladies sur les communautés microbiennes du sol. Au chai, le futur du vin sera marqué par des changements de pratiques comme le recours à des vinifications peu ou pas sulfitées. À ce sujet, l’impact de différents apports de SO2 vis-à-vis des communautés microbiennes a fait l’objet d’une étude en 2022 à Bordeaux (voir Union Girondine n° 1217, pages 44 à 46). Dans le futur du vin, les micro-organismes peuvent aussi devenir une aide dans le changement des pratiques. C’est le cas avec la pratique de la bioprotection ou encore pour l’utilisation de l’espèce de levure non-Saccharomyces Lachancea thermotolerans, dont le métabolisme particulier la rend capable de produire de l’acide lactique et conduit à des baisses de TAV et de pH.
Enfin des recherches récentes (voir pages précitées) ont aussi montré que certaines souches de Saccharomyces cerevisiae sont elles aussi capables de produire de l’acide malique pendant la fermentation.