John Barker : « Seule la coopération entre les pays permettra de faire surgir les solutions innovantes »
Pouvez-vous dresser un bilan de santé de la viticulture dans le monde, et en Europe en particulier ?
John Barker : Nous avons publié la note de conjoncture mondiale de l’OIV en avril dernier, disponible sur notre site internet, et je peux confirmer que l’année 2023 est exceptionnelle à plusieurs égards.
Les chiffres de production n’ont jamais été aussi bas depuis 1961 et accusent un recul de 10 % par rapport à 2022. De nombreux vignobles dans le monde ont subi des événements climatiques extrêmes comme des gelées, sécheresses, incendies ou des maladies fongiques généralisées. La situation est hétérogène entre les pays, mais tous les continents de production sont affectés.
En Europe, ce sont l’Italie et l’Espagne qui accusent les baisses les plus importantes. La France a vu au contraire sa production passer de 46 millions d’hectolitres en 2022 à 48 millions en 2023, et prend ainsi la place de premier producteur
mondial.
En parallèle, des prix plus élevés ont affecté la demande dans un contexte inflationniste. La baisse de la consommation mondiale de 2,6 % par rapport à 2022 est dans la continuité d’un phénomène tendanciel depuis de nombreuses années, mais nous devons considérer des facteurs
conjoncturels négatifs tels que le contexte inflationniste, les conflits géopolitiques et, dans une certaine mesure, les effets post-Covid, notamment pour la Chine, qui n’a pas encore retrouvé la dynamique d’avant la pandémie.
Le secteur vitivinicole traverse un moment de transition face aux défis climatiques qui se matérialisent de plus en plus par des productions erratiques et face à une évolution des modes de consommation. Pourtant, le commerce mondial du vin se trouve en bonne forme. Malgré une baisse en volume de 4,7 %, la valeur des exportations mondiales de vin a atteint 36 milliards d’euros en 2023, soit le deuxième niveau jamais enregistré. Cela démontre que le secteur du vin reste solide.
Par ailleurs, la faible production de 2023 pourrait contribuer à ramener l’équilibre sur le marché mondial du vin.
Les jeunes générations semblent bouder de plus en plus le vin et notamment le vin rouge. Quelles sont pour vous les perspectives d’évolution de la consommation ?
J.B. : Les nouvelles générations remplacent les consommateurs traditionnels de vin et apportent de nouvelles habitudes, de nouvelles préférences. Il est vrai que les vins rouges connaissent une baisse d’engouement depuis 15 ans, perdant chaque année 1 % de part dans la consommation de vins.
Mais les vins blancs sont dans une phase de nouvelle dynamique depuis 2010, avec un taux de croissance cumulé de 10 % depuis le début du siècle. Cette couleur est portée notamment par le succès des vins effervescents dans le monde dont les exportations, malgré un léger recul en 2023 par rapport à 2022, restent à un niveau élevé et supérieur à la période prépandémique avec 10,2 millions d’hectolitres en 2023 contre 8,9 millions d’hectolitres en 2019. Il est à noter que l’Europe reste prédominante sur ce marché !
Enfin, le vin rosé s’inscrit toujours plus dans les habitudes de consommation puisqu’il affiche une hausse de 17 % de part de marché depuis 2000.
Le vin rouge incarne une consommation traditionnelle qui, aujourd’hui, laisse place à la recherche d’autres produits et d’autres occasions de dégustation. Par ailleurs, l’inflation, si elle se maintient dans les prochaines années, aura probablement une influence dans les arbitrages des consommateurs, et notamment ceux des jeunes. Ces tendances de consommation par type de vin sont analysées dans le focus thématique de l’OIV téléchargeable depuis notre site internet. (N.D.L.R. : voir aussi Union Girondine 1218 – Mars 2024)
On constate que des États comme l’Irlande mettent en place des mesures pour rendre obligatoire l’apposition de mentions sanitaires sur les étiquettes, ce qui fragilise le bon fonctionnement du marché intérieur de l’Union européenne. Que peut faire l’OIV pour faciliter une approche commune et plus raisonnable des États membres de l’Organisation ?
J.B. : L’information du consommateur sur le vin et son impact sur la santé sont des sujets importants faisant partie du plan de travail de notre groupe d’experts de la Commission Sécurité et Santé. Nous travaillons avec les États membres pour l’élaboration d’une information juste et équilibrée fondée sur l’état actuel des connaissances scientifiques sur le sujet. La résolution OIV-SECSAN 679-2022 apporte déjà des recommandations pour la diffusion de l’information en matière de consommation de vin. C’est un premier cadre de référence pour tous les acteurs qui ouvre le champ d’un travail plus approfondi sur les modalités d’information. L’OIV est une organisation intergouvernementale mondiale. Notre mission est de collecter une information scientifique et rationnelle ainsi que de diffuser auprès de nos pays membres des recommandations aux gouvernements afin de les éclairer dans leurs décisions réglementaires. Il est également dans notre mission de collaborer avec les autres organisations internationales pour favoriser un cadre harmonisé pour les échanges internationaux. Nous n’intervenons donc pas dans les règles de fonctionnement des pays, a fortiori lorsqu’ils ne sont pas membres de l’OIV, ce qui est le cas de l’Irlande !
Nous apportons aux législateurs des pays membres de l’OIV des éléments scientifiques pour les guider dans leurs décisions. À titre d’exemple, les groupes d’experts de l’OIV, quelque 500 personnes provenant des 50 pays membres, travaillent à l’élaboration d’une revue de synthèse sur un sujet. Une fois validée par le groupe, cette synthèse est soumise à publication scientifique accessible sur le site internet de l’OIV.
Le sujet peut faire l’objet de résolutions, votées en assemblée générale à l’issue d’une procédure en huit étapes, et qui seront des recommandations de réglementation pour les pays membres. L’adoption des résolutions et toutes les décisions scientifiques sont prises sur le principe du consensus.
Baisse d’acidité, augmentation du taux d’alcool, émergence de maladies… la viticulture subit les lourdes conséquences du dérèglement climatique partout dans le monde. Quelles sont les pistes pour tenter d’en limiter les effets ?
J.B. : L’impact du changement climatique sur la viticulture mondiale est un thème proéminent dans le plan stratégique de l’OIV. Depuis vingt ans, notre organisation a ouvert une réflexion qui a abouti à différentes résolutions touchant au développement durable.
De la première résolution en 2002 sur la définition du développement durable (CST 1/2004) aux recommandations pour la mise en œuvre de ses principes dans le secteur du vin (OIV-VITI 641- 2020), l’OIV a établi tout un corpus pour guider la filière dans la mise en place de pratiques visant à limiter leur impact environnemental, incluant les méthodologies de calcul des émissions de gaz à effet de serre (OIV-CST 503AB-2015).
Les dernières résolutions en date prévoient un protocole d’utilisation raisonnée de l’eau en viticulture (OIV-VITI 569-2018), une définition pour la biodiversité dans les vignobles (OIV-VITI 677-2022). Les principes de l’agroécologie et la question de la résilience en viticulture sont deux sujets forts actuellement sur la table des experts avec des documents techniques en cours d’élaboration sur la mesure de l’empreinte carbone et de l’empreinte eau, l’écoconception des chais, les pratiques culturales en zones arides et les stratégies de conservation de la biodiversité dans les zones de culture de la vigne. La recherche de variétés génétiquement résistantes aux maladies fait également partie des sujets.
Nous travaillons donc sur des pistes multiples dans le but de répondre à un phénomène global et complexe. Je suis convaincu pour ma part que seule la coopération entre les pays permettra de faire surgir les solutions innovantes et acceptées par tous. C’est précisément le but du 45e Congrès scientifique de l’OIV qui se tiendra à Dijon, sous les auspices de la France, du 14 au 18 octobre 2024 sur le thème « La vigne et le vin : un patrimoine innovant face aux défis du siècle ». Un enjeu aussi pour l’OIV qui fêtera ses 100 ans le 29 novembre !
Propos recueillis par Alain Julien, La Champagne Viticole