Audrey Bourolleau – Viticulture régénératrice : quelles pistes pour la filière vin ?
Lors du salon Wine Paris & Vinexpo Paris 2024, Audrey Bourolleau, porte-parole de l’agriculture et de la viticulture régénératrice, a mis en lumière la nécessité de reconsidérer l’ensemble de la chaîne de valeur, de la terre jusqu’à la table. Citant l’exemple de sa ferme pilote (plus de 300 ha), elle insiste sur l’importance de tester et d’innover. « En deux ans d’activité, nous avons accueilli plus de 10 000 personnes et 2 000 jeunes pour les sensibiliser à ces enjeux. »
Une viticulture régénératrice
Pour Audrey Bourolleau, la viticulture régénératrice, « C’est prendre soin de son capital en essayant de mettre en place des pratiques de couverture des sols ; il n’y a pas, comme dans d’autres labels, de définition très stricte, explique-t-elle. C’est un objectif de moyens qui, comme on prend soin de sa peau, prend soin de sa terre. On va mettre en place de l’enherbement, des couverts végétaux, un certain nombre de pratiques qui peuvent aller jusqu’à l’agroforesterie et dont on sait scientifiquement qu’elles apportent une meilleure portance des sols, une meilleure capacité, par les systèmes racinaires notamment, d’éviter le ruissellement et de lutter contre l’érosion, en plus de capter du carbone ».
Les défis de la transition
Malgré ses avantages écologiques indéniables, la viticulture régénératrice rencontre encore des obstacles majeurs : la variabilité des conditions météorologiques et la rentabilité économique.
L’un des principaux défis est celui de la sécurisation des pratiques agronomiques alors que les conditions météorologiques et les dynamiques du vivant évoluent constamment. « Une pratique agronomique valable l’année 1 ne l’est pas forcément l’année 2. Il y a une prise de risque de l’entrepreneur qui, aujourd’hui, n’est pas forcément sécurisée pour aller vers ces nouvelles pratiques. De plus, les coûts de transition vers des pratiques régénératives peuvent être élevés, sans garantie de retour sur investissement immédiat. »
Elle insiste sur le besoin de soutenir financièrement les viticulteurs dans leur transition vers des pratiques plus durables, notamment en rémunérant le carbone stocké dans les sols à sa juste valeur.
La juste rémunération du carbone : un défi économique
Citant les études de l’INRAE, elle souligne que les sols de vigne en France peuvent capter une quantité significative de carbone, contribuant ainsi à la lutte contre le changement climatique. « Malheureusement, aujourd’hui, le carbone n’est pas payé au prix suffisant pour couvrir le coût des pratiques », déplore-t-elle. Elle explique que le prix moyen d’une tonne de carbone en France oscille entre 30 et 50 euros.
Pour Audrey Bourolleau, la juste rémunération du carbone est un levier essentiel pour encourager les agriculteurs à adopter des pratiques durables. Elle appelle à une action collective visant à inciter les entreprises et les collectivités à rémunérer les agriculteurs pour leur engagement en faveur de l’environnement. En valorisant le carbone « made in France » à sa juste valeur, il serait possible de soutenir financièrement les pratiques agricoles régénératives et d’assurer ainsi la transition vers une agriculture plus durable.
Elle souligne également l’importance du levier social dans la transition vers une viticulture régénératrice. Des pressions sociales croissantes et la nécessité de former et de retenir une main-d’œuvre qualifiée constituent des enjeux majeurs pour les exploitations viticoles.
Valorisation des sols dans les transactions foncières : un levier pour l’avenir
Pour Audrey Bourolleau, il est naturel d’intégrer la qualité des sols dans les transactions foncières, en s’inspirant du modèle de valorisation des biens immobiliers. « Je crois que pour celles et ceux qui ont acheté un bien immobilier une fois dans leur vie, vous n’achetez pas une passoire thermique au même prix qu’un appartement qui a été rénové », explique-t-elle. Elle plaide en faveur de l’introduction d’indicateurs de qualité des sols dans les contrats de location ou de cession foncière, permettant ainsi de valoriser comptablement les exploitations qui ont pris soin de leur capital naturel.
Selon elle, ce dispositif offrirait un moyen de soutenir les agriculteurs et les viticulteurs dans leur transition vers des pratiques durables. « C’est aussi un moyen de revaloriser un peu le montant de nos exploitations », témoigne-t-elle. En effet, la valorisation des sols peut contribuer à faciliter la transmission des exploitations agricoles en assurant une juste rémunération des pratiques écologiquement responsables.
Audrey Bourolleau reste optimiste quant à l’avenir de la viticulture régénératrice. « Nous avons des leviers économiques, techniques et sociaux pour faciliter la transition, affirme-t-elle. En valorisant le carbone, en favorisant la biodiversité et en investissant dans la formation des agriculteurs, nous pouvons créer un avenir durable pour la viticulture. »
Isabelle Gibier – Le Vigneron des Côtes du Rhône et du Sud-Est