Quelques heures avant la cérémonie des Best of Wine Tourism, le 7 octobre dernier, la CCI Bordeaux Gironde organisait une table ronde sur le rôle de l’œnotourisme comme solution face à la déconsommation de vin. L’occasion d’interroger les modes de consommation, notamment des plus jeunes, de découvrir les initiatives œnotouristiques girondines et d’en tirer quelques enseignements pratiques. Avant de les appliquer à son vignoble ?
Les chiffres sont éloquents : en 2018, la consommation de vin était évaluée à 80 L par an et par habitant (tous alcools confondus) contre 200 L/an/habitant en 1960 ; la majeure partie de cette baisse étant imputable au vin (consommation de 128 à 36 L, sur la même période, soit -70 %). Et cette déconsommation s’est accélérée au cours des dix dernières années. « Cette tendance baissière est structurelle et non conjoncturelle», analyse Cécile Terrien, responsable communication interne et sociétale de Vin & Société. « Elle est alimentée par six moteurs : l’urbanisation, la mutation des familles, la féminisation de la société, le rapport au temps et l’accélération des rythmes sociaux, ainsi que la sensibilité croissante des personnes à la santé et au bien-être ».
Les profils de consommateurs d’alcool évoluent également. Entre les acheteurs de vin dont plus de la moitié a plus de 50 ans, les « flexibuveurs » qui passent d’une boisson à une autre, alcoolisée ou non, sans manifester aucune loyauté à l’égard de l’une ou l’autre, les adeptes du « binge drinking » (terme anglo-saxon qui désigne une alcoolisation ponctuelle importante), ou les abstinents (25 %), difficile de savoir comment parler et faire aimer le vin aux consommateurs d’aujourd’hui.
L’œnotourisme est une solution souvent évoquée pour reconquérir le grand public, notamment les 18-35 ans, toujours plus avides d’expérience. À condition d’avoir un plan marketing bien ficelé.
Œnotourisme : la solution des 3 C pour susciter envie et désir
« Pour susciter de l’envie et du désir, la communication est devenue très importante », souligne Augustin Baconnet, créateur de Bakila. Son application, conçue à dessein pour les 18-35 ans, reprend les codes des réseaux sociaux, et promeut des expériences en lien avec un savoir-faire artisanal, comme la viticulture. « L’idée est de simplifier la vie des viticulteurs qui souhaitent proposer une expérience, avec une interface numérique sur laquelle, en trois clics, ils vont indiquer leur offre, puis renseigner un créneau et un prix. Même chose pour l’utilisateur, qui réserve en une minute ».
Pour toute offre commerciale, le jeune entrepreneur de 24 ans conseille à chacun d’appliquer la règle des 3 C : « Communication : ici, la vidéo en format vertical ; Créativité : des expériences authentiques avec des parcours actifs plutôt que passifs et une scénographie 100 % locale et faite maison ; Compétence, dans le sens d’une implication authentique des salariés ».
Capitaliser sur le patrimoine et les passions pour développer son offre oenotouristique
Certains châteaux s’y sont déjà essayés, en se diversifiant dans l’œnotourisme une dizaine d’années auparavant. Stanislas Cattiau, directeur général du Cloître des Cordeliers, invite à capitaliser sur le patrimoine architectural et les passions personnelles des dirigeants ou des équipes : « Notre tour guidé se fait en touk-touk électrique, à travers le vignoble puis dans nos carrières souterraines, avant de terminer par une dégustation dans notre église du XVe siècle entièrement réaménagée. Cette dégustation immersive déclenche des achats en boutique. En complément, nous avons mis en place des soirées afterworks avec DJ set dans notre cloître, parce que j’aime personnellement la musique électronique. Si la consommation se fait exclusivement sur place, nos soirées touchent un public plus large et reconnectent les générations. En revanche, niveau logistique, nous avons dû aménager des navettes depuis Bordeaux, dès la deuxième année, pour faire venir et repartir notre clientèle plus facilement et en toute sécurité ».
Au Château Le Grand Verdus, à Sadirac, Élodie Rolland, responsable œnotourisme, a misé pour sa part sur l’esprit guinguette. « Nous voulions rouvrir les portes du château pour y faire venir la clientèle locale, dans un esprit familial. Nous les accueillons tous les vendredis soir, en juillet et août, pour leur faire découvrir notre gamme de 17 vins de façon décomplexée. Nous avons un service au bar et des concerts de groupes locaux. Les personnes bénéficient d’une promotion durant la soirée. Cela permet aussi de voir le viticulteur en dehors de son chai. Nous avons commencé à servir entre 20 à 40 couverts, puis le bouche-à-oreille a fonctionné et nous accueillons aujourd’hui jusqu’à 270 personnes. Nous refusons même du monde ! Si ce n’est pas un gros investissement en termes de matériel, cela l’a été davantage en temps. Nous avons aussi dû réduire la voilure à une seule journée contre deux auparavant, pour pouvoir se consacrer à d’autres choses ».
Proposer des dégustations plus décomplexées
Si peu de chiffres concrets ont été évoqués lors de la table ronde, notamment en termes de recettes attendues, tous s’accordent sur la nécessité de retrouver la simplicité dans l’instant de dégustation. « On se prend trop au sérieux ici », regrette Jonathan Turban, CEO de Bordeaux Wine Trails. Longtemps entrepreneur en Nouvelle-Zélande, il propose des visites ludiques et décontractées du vignoble bordelais à vélo, avec des guides sommeliers. Visites qui se poursuivent à pied, par des dégustations dans trois bars à vin aux ambiances différentes. « Je dis toujours qu’il ne faut pas hésiter à investir sur l’humain. Les sommeliers sont les mieux placés pour parler des vins et simplifier le discours. Se réinventer tout en gardant l’authenticité, casser les clichés, cela ne va détériorer l’image de vos châteaux. L’œnotourisme est un levier, travaillons ensemble et prenons des risques ! », conclut le chef d’entreprise.
Sur la région, « les choses évoluent et les offres œnotouristiques sont nombreuses », a tenu à rappeler Brigitte Bloch, présidente de l’Office de tourisme de Bordeaux Métropole, présente dans le public. Se différencier et atteindre sa cible, dont les plus jeunes, habitués à ce que l’information vienne à eux « naturellement » par les réseaux sociaux ou le bouche-à-oreille, restent de véritables enjeux.
Claire Thibault