En Gironde, on recense essentiellement deux espèces de tordeuses qui sévissent sur les grappes : Lobesia botrana, l'Eudémis et Eupoecilia ambiguella, la Cochylis.
Ces papillons attaquent les organes fructifères au stade chenille. La déprédation en première génération sur les inflorescences peut être spectaculaire mais a peu d'effet sur la vendange, sauf dans les productions à faible rendement (exemple liquoreux). Les dégâts de la ou des générations estivales sur les grappes peuvent par contre affecter la production. Cette nuisibilité est essentiellement indirecte et s'observe avant la vendange. Elle est due aux morsures et perforations des baies qui facilitent le développement de microorganismes sur la grappe. Outre le risque de pourriture grise sous conditions climatiques humides (Botrytis cinerea), d'autres pourritures peuvent se développer comme la pourriture noire de type Aspergillus. Les pertes quantitatives directes liées à l'activité des tordeuses seules sont, quant-à elles, de faible niveau dans la région et très localisées.
Reconnaissance
Les adultes de l'Eudémis mesurent de 10 à 13 mm d’envergure. La coloration est complexe avec les ailes antérieures grises parsemées de petites zones brun rougeâtre. Les adultes de la Cochylis se distinguent facilement de ceux de l'Eudémis car leurs ailes antérieures sont d’une teinte dominante jaune ocre avec la présence d’un chevron brun noir. Le papillon est de taille identique à celui de l'Eudémis.
Les oeufs de la Cochylis ont un diamètre légèrement supérieur à ceux de l'Eudémis (0.6-0.9 mm). La distinction entre les 2 espèces n'est toutefois fiable qu'après quelques jours d'incubation. Les oeufs de la Cochylis prennent alors une ponctuation orangée alors que ceux de l'Eudémis sont beiges, légèrement irisés. Peu de temps avant l'éclosion, la capsule céphalique de la future larve des deux espèces est observable par transparence : il s'agit du stade tête noire.
Les chenilles de l'Eudémis ont un corps beige avec une tête et un thorax jaune brun. La taille en fin de développement est de l'ordre d'un cm. Les chenilles de la Cochylis ont une taille similaire mais avec une tête brun foncé, presque noire ; leur corps est de couleur brun rougeâtre à orange. Une caractéristique du comportement de la Cochylis est la presque absence de réaction de la chenille lorsqu’on la touche. Elle est beaucoup moins agile et rapide que celle de l’Eudémis.
Les chrysalides de l'Eudémis sont allongées, de couleur brun foncé, et mesurent environ 6,5 mm de long et moins de 2 mm de large, celles des mâles sont un peu plus petites. Celles de la Cochylis sont de taille similaire et sont d’une couleur brun rouge clair uniforme, un peu foncé vers la tête. Elles ont un aspect ramassé avec une extrémité tronquée.
Biologie
Le démarrage du cycle est proche pour les deux espèces ; celui de la Cochylis étant légèrement plus précoce que celui de l'Eudémis. Il a lieu au début du printemps, lors du débourrement, avec l’émergence des adultes issus des chrysalides hivernantes fin mars à mi avril. Le début du 1er vol se caractérise par une protandrie assez marquée, c'est-à-dire l’apparition des mâles avant les femelles. Ce décalage temporel peut s’étaler sur une semaine. Le vol s’étale sur plus d’un mois, très dépendant des conditions climatiques, et probablement du cépage consommé par les chenilles de la génération précédente. Ces papillons sont crépusculaires et la plupart des comportements des adultes (accouplement et ponte) se déroulent en début de nuit, bien que la Cochylis ait une reprise d’activité en fin de nuit. Les accouplements ont lieu dès le coucher du soleil. On prête à ces deux espèces des seuils thermiques d’activité (environ 12-14°C), température en deçà de laquelle il n’y a plus d’activité. La pluie est aussi un facteur qui inhibe les comportements locomoteurs des adultes ainsi que la ponte. Par contre les chenilles sont actives toute la journée, et ne sont pas concernées par le seuil thermique décrit plus haut. Les femelles fécondées pondent peu de temps après en début de nuit sur les bractéoles des boutons floraux et sur la base de ces derniers ; l’acte d’accouplement déclenchant la ponte chez les deux espèces. Seuls les oeufs fécondés sont fertiles et peuvent aboutir à une descendance.
La fécondité des femelles est de l’ordre d’une centaine d’oeufs, et un seul accouplement permet de féconder tous les oeufs d’une femelle. Il n’empêche que les femelles peuvent s'accoupler plusieurs fois et qu’un mâle peut s’accoupler avec plusieurs femelles (jusqu'à 8) sans perdre son pouvoir fécondant. Les oeufs de 1ère génération sont pondus isolément les uns des autres et sont collés par un mucus sur leur support végétal. Une femelle est capable de pondre en condition naturelle durant une dizaine de jours environ. L’oeuf incubera environ dix jours avant de voir l’éclosion de la jeune larve. La chenille présentera alors un stade errant, dit " stade baladeur " de moins de 24 h après lequel elle perforera un bouton floral puis les voisins qu’elle agglomèrera par le tissage d’un fil soyeux pour former le " glomérule ".
Cette sorte de nid grossira au fur et à mesure du développement de la chenille, qui passera par cinq stades larvaires successifs, protégée à l’intérieur du glomérule. Le terme de son développement correspond en général à la floraison où les glomérules sont facilement reconnaissables. La chenille quitte alors l’inflorescence pour trouver son lieu de nymphose (anfractuosités du cep, sol, bord des feuilles). La larve nymphose après avoir tissé un cocon blanchâtre de protection extérieure. La nymphose durera une semaine à une dizaine de jours.
Les adultes d'Eudémis du 2ème vol émergeront des chenilles et chrysalides de première génération de mi à fin juin, soit vers le stade baies à la taille de petits pois. Le phénomène de protandrie sera réduit à 2 jours maxima et le vol sera plus court que le précédent, soit environ 3 semaines. Pour les adultes de la Cochylis, le vol débutera fin juin et pourra s'étaler jusqu'à fin juillet. Pour les deux espèces, les adultes s’accoupleront et les femelles pondront leurs oeufs de 2ème génération isolément sur les baies vertes en cours de formation. Après l’éclosion et le stade très court dit "baladeur", la chenille perforera une baie, en général celle où l'oeuf est pondu, pour y former une galerie sous l’épiderme, à l’intérieur de laquelle elle va se développer. Elle pourra s’attaquer aux baies voisines formant ainsi un foyer de 3 à 5 baies, souvent appelé " perforation ". Ces foyers sont bien visibles en fin de développement car les tissus mangés prennent une teinte violacée, contrastant avec celle verte des tissus sains. C’est lors de la formation de ces foyers et des perforations dans les baies que les chenilles servent de vecteur au Botrytis.
L'Eudémis effectue une troisième génération voire une quatrième. Les larves âgées sortent des baies pour aller nymphoser. L’émergence des papillons du 3ème vol se produit début à mi août. Les femelles adultes pondront sur les baies en cours de véraison.
Les grappes ayant passé le stade fermeture de la grappe, les oeufs de 3ème génération se retrouveront en périphérie de la grappe, facilement accessibles. Les larves écloront puis gagneront rapidement l’intérieur de la grappe pour se protéger et perforer plusieurs baies au fur et à mesure de leur développement. Les chenilles attaqueront les baies matures dont la sensibilité aux pourritures est croissante à l’approche des vendanges.
Pour la Cochylis, les larves de 2e génération resteront généralement dans leur foyer de baies perforées, se maintenant au dernier stade de développement jusqu'au moment des vendanges.
Fin septembre, les larves des deux espèces sortiront des baies pour aller nymphoser en vue de la diapause hivernale. Elles formeront leur cocon de nymphose sur les anfractusosités des ceps. Parfois, en conditions climatiques très favorables, un vol automnal peut avoir lieu avec ponte des femelles. Mais les individus issus de cette génération n’auront pas le temps de finir leur développement faute à la vendange et/ou aux conditions climatiques.
Répartition spatiale
La Cochylis préfère les conditions fraîches et humides alors que l'Eudémis se développe mieux en conditions chaudes et sèches. L'hygrométrie semble être le facteur clef qui explique la répartition des deux espèces. Les conditions climatiques de l'année vont favoriser ou non l'une des espèces au détriment de l'autre. Les années sèches, on observe une recrudescence de l'Eudémis alors qu'en année humide ce sera au tour de la Cochylis avec une répercussion sur l'année suivante.
Au niveau de la distribution au sein du vignoble bordelais, l'Eudémis est largement majoritaire et retrouvée dans toutes les zones, exceptées certaines zones du nord Médoc et du bourgeais-blayais. Les populations les plus importantes et virulentes sont historiquement dans le Médoc, dans le sauternais et le libournais. La Cochylis est quant à elle peu ou pas présente dans le secteur des Graves. On retrouve cette espèce sporadiquement dans les autres zones avec une dominance dans le nord Médoc, le bourgeais-blayais, le libournais et dans les parcelles en bord de la Garonne ou de la Dordogne.
Dans les parcelles, la répartition des individus est fonction du comportement de ponte des femelles adultes. On observe notamment une concentration des tordeuses en bout de rang (zone de bordure où se produit les échanges avec l'environnement extérieur) et au niveau des zones les plus vigoureuses dans la parcelle (les entassements de grappes et les grappes compactes notamment). La Cochylis est une espèce plus agrégative que l'Eudémis dans le sens où il n'est pas rare d'observer plusieurs larves de cette espèce par grappe même à des niveaux de population faibles alors que pour l'Eudémis ceci ne se produira qu'avec des infestations plus importantes dans la parcelle.
Au niveau d'un îlot de parcelles, en cas de présence des deux tordeuses, les zones d'infestation de la Cochylis seront généralement plus proche des zones boisées et humides alors qu'elles seront plus diffuses pour l'Eudémis. Néanmoins, la répartition et la distribution des deux espèces est multifactorielle, dépendant à la fois de facteurs abiotiques et biotiques. Il n'est pas rare d'observer des parcelles voisines très similaires avec, sur l'une, une des deux espèces alors que c'est l'autre espèce qui s'installera sur la parcelle voisine, cela sans explication concrète en l'état des connaissances.
Outil d'Aide à la Décision
Plusieurs modèles ont été développés mais un seul est couramment usité : le modèle Roehrich. C'est un cumul de températures journalières en base 0°C (Tmin+ Tmax/2). Lorsque la somme de températures atteint les 565°C jours, le début théorique du 1er vol d'Eudémis peut commencer. Ce modèle est utilisé pour planifier la pose des pièges sexuels lors du 1er vol et pour la pose de la confusion sexuelle avant l'émergence des papillons mâles. D'autres modèles existent (Baugartner & Baronio) qui permettent de simuler le déroulement du cycle des insectes. On les retrouve notamment livrés avec les logiciels de pilotage des stations météorologiques.
Règles de décision
Les traitements insecticides doivent être réalisés en fonction de la pression de ravageurs, de la connaissance de l'espèce en cause, de son stade de développement et du mode d’action des produits insecticides. C’est essentiellement la ou les générations estivales qui seront visées. Différents suivis peuvent être mis en oeuvre pour y parvenir :
– Pour estimer la phase du cycle des tordeuses, on peut capturer les adultes avec des pièges, soit sexuels (qui attirent les mâles), soit alimentaires (qui attirent les femelles mais à une faible portée). Leur mise en place doit se faire dès le début présumé de vol, ceux-ci doivent être examinés 2 à 3 fois par semaine. Les pièges sont disposés dès le débourrement pour le piégeage sexuel, puis après la floraison pour le piégeage alimentaire.
– En complément, il est recommandé de réaliser différents comptages pour évaluer si les niveaux de populations de tordeuses présentent un risque :
• la première génération est peu concernée par les comptages de pontes dans le vignoble Bordelais ; les dégâts de glomérules impactant peu sur la récolte. Seuls, les foyers de glomérules seront couramment comptabilisés afin d’affiner le choix de déclencher ou pas une intervention préventive sur la deuxième génération.
• par comptage des oeufs sur 50 grappes par parcelle, plus simple pour les 2ème et 3ème générations ;
• par comptage des foyers réalisés par les larves sur 100 grappes par parcelle, c'est à dire les glomérules (dégâts de la première génération) et les perforations (dégâts de la deuxième génération) ; Le comptage larvaire d'une génération donnée va fournir une information sur l'importance potentielle de la génération suivante et prédire le besoin d'une intervention.
• Dans le cas de l'Eudémis, une intervention en 2ème génération peut être envisagée à partir de 5 glomérules pour 100 grappes en 1ere génération. Pour la 3éme génération il faut prendre en compte la situation Botrytis (historique, pression parasitaire). Selon ce risque, une intervention est alors envisageable à partir de 3 à 10 foyers pour 100 grappes dénombrés en 2ème génération. Dans le cas de la Cochylis, ce risque Botrytis doit être incorporé dans le raisonnement de la décision d'intervention lors de la 2ème génération.
• Le comptage des chenilles en fin de saison à la vendange est effectué par la technique de la saumure. Elle consiste à prélever 25 grappes par parcelle, de les découper et de les mettre à tremper dans de l'eau saturée de sel à 10%. Cette évaluation est assez lourde en logistique et en temps. Bien que surtout utilisée en expérimentation, elle permet néanmoins de vérifier si le choix de la stratégie suivi dans l'année répond à l'objectif sanitaire fixé à priori. On définira ainsi les ajustements nécessaires pour les choix décisionnels qui seront mis en oeuvre durant la saison viticole suivante (seuils, méthodes de lutte…).
Moyens de lutte
Il existe un certain niveau de régulation naturelle assez variable dans les parcelles viticoles agissant sur les populations de tordeuses de la grappe. Il est recommandé de prendre en compte la présence et le développement de ces ennemis naturels. On trouve les parasitoïdes : ce sont des insectes qui vont pondre dans ou sur le corps des insectes en s’en nourrissant. Ce sont essentiellement des Hyménoptères, les guêpes parasitoïdes, tels les Trichogrammes sur oeufs (mais peu présents en Gironde), certains Ichneumons sur chenilles et des Diptères Tachinaires (très peu présents dans la région). On commence néanmoins à trouver dans le sud de la Gironde une mouche Tachinaire, Phytomyptera nigrina. On trouve aussi des prédateurs, qui chassent et se nourrissent de leur proie. Dans le cortège des diverses espèces possibles de cette catégorie, ce sont les arachnides qui semblent les plus efficaces avec notamment les Opilions ou Faucheux, cousins des araignées.
Tableau 1 : Classement des différents insecticides utilisés sur VDG
Les meilleurs taux de régulation naturelle sont mesurés pour les Ichneumons de l'espèce Campoplex capitator présents principalement sur la 1ère génération larvaire de tordeuses. Leur efficacité est proche de 25% des larves parasitées en moyenne ; des taux de parasitisme supérieurs à 40 % ayant déjà été observés en sauternais.
Dans le cas où cette régulation naturelle n'est pas suffisante, différentes techniques de contrôle sanitaire peuvent être mises en oeuvre relevant de la lutte chimique et/ou de la lutte par les Biocontrôles (tableaux 1 et 2), qui consistent soit à :
– intervenir avec un ovicide avant le dépôt des oeufs (en tous cas avant le stade tête noire) en cas de forte population,
– intervenir avec un ovo-larvicide sur les oeufs avant l’éclosion ou sur les jeunes larves au moment des éclosions en cas de plus faible population,
– intervenir avec la technique de confusion sexuelle contre les adultes dans le cadre de présence récurrente des populations de tordeuses. Cette méthode requiert une mise en oeuvre et des suivis spécifiques. Il est recommandé de demander conseils aux fabricants ou aux distributeurs de produits phytosanitaires avant sa mise en oeuvre.
Tableau 2 : La confusion sexuelle
L. Delbac*, D. Thiéry* et L. Davidou**
* UMR SAVE-INRA Bordeaux
** CA33-Vinopôle Bordeaux Aquitaine
Pour plus d'informations sur les stratégies de lutte tordeuses de la grappe, voici un lien vers le site du Vinopôle présentant différents résultats d'essais :
http://www.vinopole.com/uploads/tx_vinoexperimentation/art_tordeuses.pdf