Économie

La première usine de réemploi de bouteilles de France s’est lancée en Gironde

Depuis mars 2023, 700 000 bouteilles ont été nettoyées dans les locaux de l’usine Luz Environnement à Verdelais. La première usine de réemploi de bouteille de verre en France est donc opérationnelle en Gironde.
Annie Le Deunff offre une prestation de nettoyage industrielle pour les vignerons, caves et négociants qui doivent nettoyer de la bouteille. Sans doute les prémices de la consigne.

Union Girondine

Elle fonctionne ! La première usine française de réemploi de bouteilles de verre est opérationnelle depuis le mois de mars. Elle est implantée en Gironde. De nombreux projets de ce type émergent dans l’Hexagone, avec la volonté de relancer une activité de consigne. À Verdelais, près de Langon, ce n’est pas un projet : c’est une véritable usine qui a été créée.
La première chaîne de nettoyage a été montée en décembre. Après trois mois de réglages (et ce n’est pas fini), elle a débuté son activité industrielle à partir de mars. De nouveaux équipements sont venus compléter la chaîne : décolleuse de capsule, gratteuse d’étiquette, laveuse. À chaque étape du processus industriel, des capteurs vérifient le poids de la bouteille, sa hauteur, la forme du culot. Et à l’issue de ce nettoyage complet, un passage au travers d’un scanner, vérifie que l’état sanitaire est bon, que la bouteille ne possède aucun défaut et qu’elle peut reprendre le chemin de l’embouteillage.
Depuis mars 2023, Luz Environnement a ainsi nettoyé 700 000 bouteilles. « Tout cela avec deux personnes, en assurant quatre jours de travail par semaine ». Le chiffre est impressionnant, mais c’est une goutte d’eau face aux 520 millions de bouteilles produites à Bordeaux. Ce premier pas rend tangible le réemploi.
Annie Le Deunff, à la tête de son entreprise sourit avec une certaine fierté. La Bretonne, implantée à Bordeaux depuis 10 ans, a travaillé dans l’ombre pour monter son usine, a découvert les processus et équipements en Europe « Je suis allée voir Univerre en Suisse (l’entreprise nettoie 24 millions de bouteilles par an). Ils m’ont expliqué leur processus, orienté sur les machines à utiliser. » Annie Le Deunff mesure le chemin parcouru entre l’idée de réemploi de bouteilles devant un container plein à la mise en route de son usine : « Pendant toute ma période de création de l’entreprise, ma qualité principale est qu’à la base, je ne savais rien. Donc je posais des dizaines de questions, je lisais, je synthétisais ce qui m’avait été dit, ce que j’avais lu. »
La créatrice d’entreprise chemine sur son projet en étant hébergée à la Start-up Win de Bernard Magrez.
« Quand je parlais de consigne, de réemploi des bouteilles de verre, on me disait : "C’est une très bonne idée, mais on n’y croit pas." » Et d’ajouter : « Heureusement que la banque y a cru. » Et pas seulement sa banque, puisque la Région Nouvelle-Aquitaine, l’Ademe et Citéo ont soutenu son lancement.
Cependant, la mise en route de cette usine de réemploi de bouteilles a été un casse-tête : « Pour obtenir le crédit, il fallait un local. Pour obtenir le local, il fallait de l’argent. Et pour décrocher des subventions, il fallait le crédit… » Elle éclate de rire « Et quand j’ai décroché le local, il fallait de l’imagination. »
La première idée d’Annie Le Deunff était donc le réemploi et la consigne. Or, les vignerons lui ont dicté une autre activité : le nettoyage des bouteilles ! « Lorsque les domaines mettent en bouteille, ils achètent plusieurs palettes de bouteilles destinées à la mise. » Mais bien souvent, il reste quelques palettes non utilisées qui vont être stockées ici ou là. Prenant la lumière, la poussière pendant plusieurs mois. Et elles ont besoin d’un nettoyage pour de nouveau être remise dans le circuit, ce qui coûte moins cher que d’acheter des bouteilles neuves.
Autre cas de figure, une mise a été réalisée. Un contrôle en laboratoire, dans un organisme de contrôle, chez le client, souligne un défaut sur le vin. Il faut tout vider, et nettoyer les bouteilles pour leur assurer une nouvelle vie.
À l’heure des bouteilles très chères, le nettoyage est une alternative très appréciée. Les bouteilles sales arrivent sur pallox, et repartent nettoyées sur palette. Ce service qui rend service aux vignerons crée aussi de la solidarité. « J’ai plusieurs vignerons qui m’ont soutenu par du prêt de matériel, des conseils. »

Les bouteilles standards favorisent le réemploi

Et aujourd’hui que cette activité est lancée, des imprévus obligent à l’adaptation de la production. Premiers constats : « Les vins à valeur ajoutée s’appuient sur des bouteilles plus chères et souvent plus lourdes. » Tandis que les vins d’entrée ou cœur de gamme utilisent des bouteilles moins onéreuses, mais d’une très grande variété. « Plus on pourra standardiser les bouteilles, et plus le réemploi sera facile » signale Annie Le Deunff. Sauf que cela va à l’encontre des spécialistes du marketing qui cherche à différencier la bouteille sur le linéaire de la grande surface. « Pour que le réemploi de bouteilles puisse s’opérer, observe Annie Le Deunff, il faut des modèles standards, cela permet de répondre à un traitement industriel des bouteilles. »
Robert Cornec, qui s’est investi dans la partie technique de Luz Environnement découvre le métier depuis quelques mois, et est surpris « par le nombre de bouteilles bordelaises différentes. Quand vous avez en main une bouteille bordelaise, vous pensez qu’elle est standard, mais pas du tout. Cette variation de diamètre, de hauteur, de couleur est importante. » (Rien que Verallia par exemple affiche près de 50 bouteilles bordelaises de 75 centilitres à son catalogue). Sauf que la moindre différence de diamètre ou de hauteur crée des irrégularités au stade de la palettisation, et oblige à des corrections manuelles, qui vont à l’encontre d’un traitement industriel et automatisé.
Par chance, Luz Environnement peut s’appuyer pour certains renforts manuels et ponctuels avec l’Esat de Verdelais.
Luz Environnement se fait donc pionnier en France dans cette opération industrielle de nettoyage des bouteilles. L’expérience qu’elle engrange va compter dans les projets de consignes imposées par le gouvernement dans les deux ans à venir. C’est ce qu’a annoncé la secrétaire d’État Bérengère Couillard le 21 juin dernier (avant le remaniement ministériel).
Sur ce point, Annie Le Deunff patiente. « La mise en place de la consigne comporte trois points marquants : la logistique, le nettoyage des bouteilles (ou bocaux demain) et l’immobilisation financière dans la phase de stockage. »
En termes d’émission carbone, les enjeux de la consigne sont importants, sauf que les marges de cette activité sont faibles (surtout quand les coûts de collecte sont chers). Dans le même temps, la grande distribution utilise des millions d’euros pour fidéliser ses clients. Si demain, la consigne participe à cette fidélisation par des bons d’achat à utiliser le jour même, elle alimente le cercle vertueux du réemploi. Et selon Annie Le Deunff, « c’est par des implantations de proximité comme celle que nous avons créée à Verdelais que nous pourrons répondre à la demande de réemploi et participer à la décarbonation de la filière. »