La saison des concours de taille s’est achevée samedi 19 mars après six épreuves dans différents bassins viticoles de Gironde. Pour la première fois depuis 2009, un Libournais, Ricardo Da Rocha, l’emporte devant les candidats
du Médoc. Au-delà du concours, c’est une mise en avant du métier, par des passionnés fiers de leur travail. Une vraie bouffée de bonne humeur à la vigne, et le plaisir d’échanger.
Samedi 19 mars à Châteaux Margaux. Dernier concours de taille de 2021-2022. Une année de renouveau baptisée « l’année des Grands Crus ». « Nous n’avions pas pu proposer de concours de taille du fait de la pandémie. Aussi, pour cette reprise, nous avons demandé à de grands châteaux de nous ouvrir leurs portes », explique Sophie Galland, animatrice de l’association des salariés agricoles de Gironde (ASA33), et cheville ouvrière de cette compétition.
Dès 8 h 30, autour d’un café, les consignes sont transmises. Les épreuves précédentes ont permis de se confronter à différentes tailles . Cette fois, la taille médocaine est à l’honneur. Sur les 200 points possibles à chaque épreuve, la répartition se fait comme suit : équipement de sécurité (chaussures, lunettes, gants, fourreaux), 10 points ; taille globale : 180 points (formation, 80 points ; charges, 60 points ; propreté et longueur, 40 points) ; questionnaire de culture de la vigne et du vin : 10 points.
9 heures. Les 60 participants se répartissent sur la parcelle. Chacun doit tailler 15 pieds en 20 minutes. Avec obligation de laisser les bois pour que le jury puisse analyser les choix de coupe des candidats. Les candidats viennent de petits domaines ou de châteaux prestigieux. Ils participent seuls ou en équipe. Parmi les spectateurs, on y croise des conjointes suppporters, des collègues de travail, des employeurs venus encourager leurs salariés.
La dernière épreuve est disputée. Ricardo Da Rocha est en tête au classement général. Salarié à château Lafleur Grangeneuve (Pomerol), il est un intrus dans un concours gagné par les Médocains depuis 2009. « J’ai appris la vigne quand je suis arrivé du Portugal en France à 17 ans, à Saint-Émilion. J’ai participé aux vendanges et j’ai poursuivi les travaux de taille l’hiver. Tailler face aux Médocains est un challenge. Ce sont les meilleurs tailleurs de France. Ils vivent la vigne, ils la comprennent, ils ont ça dans le sang. À travers la taille, ils cherchent le fruit, la pérennité du pied. » Ricardo est devenu amoureux de la vigne. Il a participé à des concours « à Nantes, en Charente, en Côtes-du-Rhône, en Bourgogne, à Gaillac, à Montpellier et une fois en Espagne en 2020 ». Il le reconnaît : « Pour participer au concours, il faut être passionné. » En ce matin de mars, à l’issue des épreuves desquelles il sort mitigé (et qu’il remporte), il arbore une pointe de fierté : « Mon patron est venu ce matin pour m’encourager ».
9 h 45. L’ensemble des participants gagne l’orangerie de Château Margaux. Beaucoup se sont changés et sont désormais en « tenue de ville ». Passée l’épreuve du terrain, il faut répondre au questionnaire.
Un silence de plomb s’invite dans la salle. Sophie Galland rappelle les règles « Vérifiez bien que vous avez mis votre numéro de rang en haut de la feuille ». Les candidats doivent répondre à 10 questions très variées : « Sur combien de communes s’étend l’appellation Margaux : 5, 6 ou 7 ? » (5). « Combien de coups de sécateur donne en moyenne un tailleur par jour ? De 6 à 8 000 ? De 10 à 12 000 ? De 15 à 17 000 ? » (10 à 12 000). « Bordeaux fête le vin revient sur les quais de Bordeaux. Savez-vous à quelle date ? Du 9 au 12 juin ? Du 16 au 19 juin ? Du 23 au 26 juin ? » (Du 23 au 26 juin).
« Ces concours permettent des échanges enrichissants »
10 h 15. Les copies se ramassent dans la salle. Pendant ce temps, dans la parcelle, les jurés évaluent le travail de taille réalisé. « La taille respecte les flux de sève. Là, la baguette est bien. Au niveau de la longueur des astes, c’est respecté. Là par contre, il y a un état général trop chargé. » Luiz Ribero, candidat du Château Ducru Beaucaillou, a bénéficié d’un tirage au sort qui lui permet de venir suivre les jurés : « On a le droit d’écouter les commentaires, de mieux comprendre leurs analyses de nos tailles, les critères que l’on doit respecter. On voit qu’ils accordent beaucoup d’importance aux flux de sève ».
L’intérêt de ces concours de taille, et c’est sa 6e participation, « est très important au niveau de l’échange avec les autres concurrents venant des autres régions viticoles. Et on découvre des lieux incroyables ».
10 h 45. Tandis que les jurés poursuivent leurs analyses, les candidats débutent la visite des installations, du chai de l’architecte britannique Norman Foster, entré en service en 2015. Emmanuel Couillaud (château Lafite Rothschild), second au classement général, voit dans ces rencontres un intérêt majeur : « Au sein de la Gironde, on a chacun des façons de travailler différentes. Là, on continue à apprendre. Moi, j’ai commencé la taille à 8 ans avec mon père, je suis un passionné. C’est tellement bien d’échanger avec d’autres, cela nous permet de progresser et de garder l’esprit en éveil. La viticulture évolue tout le temps. Ces concours nous évitent d’être figés dans le temps. Les concurrents viennent de petits et gros domaines, c’est cela l’intérêt. On a souvent le sentiment que la viticulture est décriée, on a du mal à recruter du personnel, à le former et à le garder. Ces concours sont motivants, on y retrouve des gens qui aiment leur métier ».
Donatien Mathé (château Léoville Las Cases) participe depuis quatre ans aux concours : « C’est un peu notre MOF à nous. Nous vivons chaque concours comme une expérience. On s’enrichit, on apprend de tout le monde. Et quand on revient au travail, on partage cette expérience avec les collègues. »
Première femme au classement, Aurélie Revel (6e au général) s’est prise de passion pour la vigne voici quelques années. « Avant, j’étais vendeuse, et je voulais vivre dehors. C’est ma 3e année de concours, j’ai été formée par David Trancard (château Malromé), qui a été Sécateur d’or. Ce concours, c’est une ambiance très conviviale, et on est très soudés. Franchement, ça donne envie de revenir. »
E.D.