Commission économie du CIVB : « Nous jouons un moment clé aujourd’hui, nous avons 7 à 8 mois importants à venir »
Stéphane Héraud (viticulture) et Jean-Pierre Durand (négoce) co-président la commission économie du CIVB.
Les deux hommes s’entendent bien, et veillent à faire vivre « une volonté collective » pour affronter les aléas du marché. Avec un intérêt commun pour socle : soutenir la viabilité des exploitations pour les pérenniser, et ainsi pérenniser le négoce.

Au sortir d’une réunion sur le vrac, Stéphane Héraud et Jean-Pierre Durand (de gauche à droite sur la photo) se taquinent. Le premier représente la viticulture au CIVB, le second a été élu par le négoce. Cette appréciation humaine favorise aussi un dialogue, une volonté de compréhension et d’analyses des mécanismes de la filière viticole. Elle semble permettre une appréhension des problématiques en mode projet, et ainsi de tenir à distance les sources de conflits qui peuvent jaillir dans la filière.
Stéphane Héraud et Jean-Pierre Durand, pouvez-vous nous dire quel est le climat de travail au sein de cette commission économie du CIVB ?
Stéphane Héraud : Il me semble qu’il n’y a jamais eu une volonté collective comme celle que nous avons en ce moment. Aujourd’hui, nous sommes dans une crise importante, avec les effets du Covid, des aléas climatiques. Mais l’analyse que nous menons est collective. Nous ne sommes pas en train de nous dire « c’est de la faute du négoce ou de la production ! » Cette analyse collective, c’est un nouveau discours, en dehors des postures « des familles ». Nous sommes depuis quelques mois dans un pilotage de la filière comme le font d’autres régions. Je pense à la Champagne. Et si nous parvenons à poursuivre ce climat de concertation et d’échanges, je pense que nous pouvons faire gagner Bordeaux pour quelques années.
Jean-Pierre Durand : Ce qui est intéressant, c’est que nous identifions ensemble les problématiques économiques, techniques, marketing, auxquelles nous sommes confrontés. Notre rôle d’élus de l’interprofession est de rappeler un point essentiel : c’est le consommateur qui crée la richesse. Notre mission est de bien le connaître. Nous avons la chance d’avoir une équipe qui nous éclaire sur ce point. Et quand vous avez les résultats d’un panel consommateurs, les conclusions crèvent les yeux. Aussi, ces recherches sur les profils produits, c’est une parole qu’il nous faut porter auprès de chaque producteur. Si on regarde les choses d’un point de vue macroéconomique, nous avons un super bilan sur la HVE et le bio qui redore le blason. Mais il est important que Bordeaux possède des marques qui soient rémunératrices.
Vous parlez de la rémunération de la production, est-elle au cœur de vos débats ?
Jean-Pierre Durand : De part et d’autre, nous avons la volonté de pérenniser le monde agricole. Cette démarche est voulue par la viticulture et le négoce. Nous avons observé un prix moyen du tonneau sur 12 mois. Il était inférieur à 1 000 € en début de campagne, et il se situe aux alentours de 1 100 € aujourd’hui. Nous travaillons à la compréhension de la mise en marché, et la volonté de limiter les à-coups. Nous réalisons des études pour analyser cela.
Nous sommes pragmatiques. La production a fait preuve de résilience en 2020. Le marché est très réactif à toute hausse brutale des prix comme nous en avons connu sur le millésime 2017. Notre mission au sein du CIVB est de défendre l’AOP et la marque Bordeaux. Dans un esprit de pérennisation, bien sûr que la rémunération est importante. Comment pouvez-vous embarquer vos enfants quand vous tirez la langue depuis dix ans ?
Stéphane Héraud : Le ressenti est que le marché a du mal à repartir. Il reste des stocks importants en propriété. De prime abord, on peut y voir un aspect négatif. Mais nous sommes la seule région de France à avoir du stock en propriété. Et il va nous permettre d’alimenter le marché de façon normale, quelle que soit la récolte 2021. En 2017, il n’y avait que Bordeaux qui manquait de vin. Aujourd’hui, c’est l’inverse.
Vous parlez sans filtre de 2017 comme un moment de décrochage qui a fait perdre pied à Bordeaux. Vous semblez en tirer les enseignements après l’épisode de gel du printemps.
Stéphane Héraud : C’est en cela que notre travail collaboratif est nouveau aujourd’hui. Lors de la crise 2009, 2010, les relations entre viticulture et négoce étaient fratricides. C’est à cette époque qu’est née cette commission vrac. En 2017, des erreurs ont été faites de la part de la viticulture et du négoce. Résultat : on a tous perdu des parts de marché. Aujourd’hui, nous avons un niveau de récolte qui est à la hauteur de ce que l’on sait vendre. Et nous bénéficions d’une réflexion commune qui n’existait pas.
Jean-Pierre Durand : En 2017, nous avons fait un décrochage des produits substituables (entrée de gamme et moyenne gamme). Mais quand on perd des parts de marché, c’est très difficile de revenir ensuite.
Aussi, nous avons, de part et d’autre, des messages de modération de l’évolution du marché. Nous souhaitons une évolution des prix, mais pas de flambée. Ce sujet-là, nous l’abordons ensemble. Sinon, nous cassons la machine. Aujourd’hui, nous avons un surstock mais composé de millésimes qualitatifs (2018, 2019 et 2020), ce qui nous permet d’être bien placés.
Si nous faisons preuve de prudence, c’est parce que nous devons avoir un pilotage très fin. Et pour que la concertation de nos commissions s’applique aussi sur le terrain, nous nous appuyons sur des démarches déjà engagées comme le Guide du partenariat.
On vous sent mesurés, réservés, et pour autant, les derniers indicateurs montrent des signes qui permettent un certain optimisme.
Stéphane Héraud : Il faut être prudent. Si nous réussissons à alimenter nos marchés, avec des prix qui progressent mais sans exploser, et que l’on peut continuer à alimenter nos pays cibles à l’export et réguler notre coefficient de stock, alors ce peut être positif.
Nous jouons un moment clé aujourd’hui. Nous savons que nous avons 7 à 8 mois importants devant nous. Si nous y parvenons, on peut envisager un pilotage de trois ou quatre années avec de la sérénité.
Jean-Pierre Durand : Après, nous savons que des éléments extérieurs peuvent être source de perturbation. La vigne connaît le gel ou le mildiou, l’économie a d’autres mécanismes désorganisateurs. Tout notre travail est de les appréhender, de les comprendre et de les apprécier au mieux. C’est pour cette raison que nous nous dotons d’études, pour avoir de la visibilité. Et ce que nous essayons de faire, de façon collective, c’est de raisonner avec des éléments rationnels, et toujours avec ce leitmotiv : remettre le client au centre de notre préoccupation.
Que vous apporte le fonctionnement que vous avez su instaurer ?
Stéphane Héraud : Aujourd’hui, la viticulture et le négoce réussissent à discuter. Et cela se fait de façon intelligente. Avec l’arrivée de Jean-Pierre, nous avons mis l’accent sur la communication du prix moyen du tonneau, et non du prix plancher qui représente 7 à 8 % des volumes. Nous réfléchissons depuis quelques mois à un indicateur général et à d’autres outils. Mais nous en parlerons plus tard.
Jean-Pierre Durand : Et cela a aussi permis de s’accorder sur le fait d’alimenter le marché, de travailler sur les profils produits. Ce que l’on a surtout vu, c’est que pour aborder le marché, il nous fallait tous connaître les problématiques. Et faire en sorte que le commercial qui est au contact du consommateur final garde à l’esprit qu’il vend du Bordeaux.

Propos recueillis par Emmanuel Danielou