Caves coopératives : « Juin et juillet bons, mais pas de capacité de projection »

Lundi 31 août, les caves coopératives de Nouvelle-Aquitaine se sont réunies à Bordeaux pour leur réunion d’information trimestrielle. Une assistance plus clairsemée qu’à l’accoutumée car les vendanges ont déjà débuté.
Il en ressort un marché contracté, une appellation Bordeaux qui souffre beaucoup. L’absence de visibilité commerciale préoccupe les caves.

Union Girondine

Les caves coopératives de Nouvelle-Aquitaine se sont réunies lundi 31 août à Bordeaux pour aborder les questions conjoncturelles, réglementaires et économiques.
À la tribune, Denis Baro, président de la cave de Rauzan, remplaçait Stéphane Héraud (Tutiac), accaparé par ses vendanges.
Premier constat, les caves coopératives ont engagé une distillation à hauteur de 120 000 hectolitres sur la Gironde, c’est-à-dire un assez faible recours au regard de leur capacité de production. (La demande en Gironde a été de 728 000 hectolitres).
Quand un tour de table a été engagé, Gilles Blanchard, directeur de l’Union des producteurs de Saint-Émilion, s’est lancé. « Le premier constat en matière de commercialisation, c’est que durant le confinement, la grande distribution était préoccupée par les approvisionnements en pâtes, en lait, en beurre, et que le vin venait après. Pour nous, mai a été correct. Juin et juillet ont été excellents alors que nous ne nous y attendions pas. Mais nous observons un gros déficit sur l’Asie, comme si le continent s’était arrêté, et cela ne reprend pas. Nous avons une vraie difficulté à prévoir les objectifs. Nous vivons avec des réactions au jour le jour. » Autre observation, « on pensait la grande distribution en mauvaise posture, mais avec la Covid, elle a repris ses positions. »
Gilles Lagauzère, directeur des Vignerons Landerrouat, Duras, Cazaugitat et Langoiran : « Nous clôturons notre exercice avec un recul de -15 % par rapport à l’année dernière. C’est assez inégal. Le point sensible, c’est Bordeaux, plus que pour les autres appellations. Cela nous préoccupe, car quand Bordeaux tousse, c’est parfois contagieux. »
Stéphane Mirandet, UG Bordeaux, avoue un certain scepticisme : « Je ne vais pas vous bercer d’illusion. Nous avons des gens désespérés dans les campagnes. Nous avons des indépendants qui ont des chais pleins. Nous vivons deux viticultures aujourd’hui : ceux qui vendent et ceux qui sont à l’arrêt. Pour tous ceux qui sont dans un schéma viticulteur - courtier - négoce et qui produisent du vrac, c’est une catastrophe. Je pense que ce modèle est en fin de cycle. »

« Quand tu n’es plus
au goût du jour… »

Stéphane Mirandet ajoute : « Et dans nos coopératives, notre bordeaux basique, cœur de gamme, je me demande s’il va connaître un redémarrage. Personne ne gagne d’argent avec cette production-là. On ne peut plus faire de promo, car à la vente, nous sommes moins chers que les IGP. Nous sommes face à une crise structurelle. On nous parle de distillation, d’arrachage. Mais quand tu n’es plus au goût du jour, tu n’es plus au goût du jour ! Comment peut-on supporter que les blancs et les rosés soient de plus en plus consommés, et que Bordeaux passe à côté de ça ? Et même que notre production de Bordeaux rosé diminue ? On s’est interdit la mixité AOC - IGP. Peut-être a-t-on raté des virages. »
Thierry Fourcaud, élu à la tête d’Univitis (il succède à Pascal Nerbesson), avoue son plaisir « de retrouver les copains. Je suis un incurable optimiste. Que faire pour l’avenir ? Nous faisons tous des expériences. On essaye le créneau IGP. On essaye de sortir du créneau Bordeaux. Au Japon et au Brésil, nous avons eu de légères augmentations. Mais en Asie, on ne sait ni quand ni comment y aller. Nous étions en crise, nous le sommes plus encore. Est-ce que cette crise est comparable à celle que nos parents ont vécu dans les années soixante-dix ? Mon père me dit toujours, et il a 92 ans, que les deux moments sombres de sa carrière ont été le gel de 1956, et la crise des vins de Bordeaux des années soixante-dix. »
Un jeune responsable de la cave Les coteaux de l’Isle à Maransin explique que la structure produit « à 98 % du vrac. Depuis 2017, c’est très compliqué. Nous n’avons pas de demande à part de notre négociant historique. On a des contrats depuis 2018 qui n’ont pas été retirés. On a embauché deux commerciaux pour vendre de la bouteille et du BIB. On a créé des cuvées sans soufre, des vins de cépages. Et ça marche. Cela ne se fait pas d’un claquement de doigts, mais ça reprend doucement. Sur les Bordeaux historiques, les négociants nous demandent la bouteille classique, avec l’étiquette vieillotte. Mais les bars à vin nous demandent des bouteilles bourguignonnes et des étiquettes modernes. Quand on vend en Asie, on nous demande des élevages en fut de chêne, des dessins de châteaux sur les étiquettes. On se bat, on va chercher des médailles et cela marche bien. Mais le souci aujourd’hui, c’est que les demandes pour le Bordeaux sont en dessous des prix à la distillation… »

« C’est l’incertitude
sur les marchés »

Frédéric Viandon, nouveau président des producteurs réunis Chai de Vaure à Ruch, se veut pragmatique : « L’impact financier, en termes de rémunération, on se prépare à le subir. Pour l’instant, nous n’avons pas eu recours au prêt garanti par l’État, mais nous y pensons. Le constat est celui de l’incertitude sur les marchés, et sur ce point, je pense que nous sommes comme tout le monde. Pour l’instant, on courbe l’échine. »
Sébastien Couthures, nouveau président d’Uni-Médoc (il succède à Pédro Rojo) dresse le portrait de sa cave, et au-delà de l’appellation : « Le Médoc ne va pas très bien. La crise du Covid a amplifié les difficultés. Nous avons souscrit au PGE. Mais c’est surtout 2021 qui nous préoccupe. »
« Nous étions très pessimistes sur juillet et août, et finalement, notre magasin, à 20 minutes de la côte, a connu une belle fréquentation. C’était une belle surprise. Ce que l’on constate, c’est que quand on est face au consommateur, nous sommes confiants. »
« À l’international, on navigue un peu à vue. En Europe, nous avons beaucoup reculé sur plusieurs marchés car nous nous étions concentrés sur l’Asie. Et remettre des commerciaux sur la route avec cette crise est délicat. Mais nous ne pouvons pas baisser les bras vis-à-vis des adhérents. En ce moment, nous parlons de tout, il n’y a pas de sujets tabous. »
Denis Baro, président des Caves de Rauzan, dresse le bilan de sa cave : « Au niveau transaction, il nous reste 10 à 15 % du millésime 2019 à vendre. Mais c’est la première année où c’est un peu plus tendu au niveau place. Nous avons eu recours au PGE, mais seulement à 20 % de nos possibilités. Nous avons fait une baisse d’acompte pour nos adhérents. »
« À l’export, le Canada fonctionne bien. Nous avons un client en Chine qui demeure actif. La bouteille fait 20 % de notre chiffre d’affaires. Et sur le vrac, nous sentons une frilosité du négoce. »
Le président de l’une des caves les plus dynamiques du territoire l’admet : « Pour Bordeaux, je n’ai pas la solution miracle. Certains ont tendance à taper sur les responsables de la filière. Et dans le même temps, des propositions ont été rejetées en assemblée générale… »
« La coopération a des atouts dans cette crise. Nous avons eu beaucoup de demandes d’adhésion, mais aujourd’hui, nous sommes presque arrivés à saturation. Ce n’est pas forcément bon signe, car l’on dit parfois que la coopération est fille de la misère... »
Ailleurs, l’herbe semble être plus verte. Et moins marquée par une sécheresse commerciale. Mais il s’agit aussi d’appellations ou de bassins de production à plus faibles volumes.
Pascal Hénot, directeur du laboratoire Enosens à Coutras, s’invite alors dans la discussion : « Sur le style des vins, à Bordeaux, on sait faire tout ce que l’on veut. La réalité est que nous ne sommes pas sur un produit industriel que l’on ajuste chaque semaine : nous produisons une fois par an. On a sans doute oublié de donner envie parce que cela se vendait tout seul, parce que c’était facile. Il faut réapprendre à plaire. Il faut oublier le grand cru classé quand on fait nos vins. Mettre en avant la viticulture et les caves. Nous avons plus d’atouts aujourd’hui qu’hier. Réveillons-nous ! »
■ E.D.