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Sommet Agroécologie Bordeaux : comment gérer les flux et les stocks ?

Le deuxième Sommet Agroécologie Bordeaux, organisé par l’association agroécologique de Carbouey, s’est déroulé à Bordeaux, au cinéma le Français, le 14 novembre dernier. Organisé en partenariat avec la mairie de Bordeaux, il a retenu l’attention de plus 450 personnes, dont une majorité d’exploitants agricoles, mais également des chercheurs, étudiants, conseillers agricoles et enseignants du secteur. Flux et stocks, sous des aspects bien différents, étaient au programme.
Les intervenants de la table au ronde du sommet agroécologie de bordeaux
Union Girondine

La journée a débuté par l’intervention de Bernard Fragny, économiste, qui a décrit le contexte « sociologique » des décisions environnementales nées des coûts d’opportunité, avec parfois un impact immédiat négatif sur l’économie.

Suffisantes ou insuffisantes, ces décisions sont surtout liées à la perception des agriculteurs des phénomènes qui se produisent et impactent leur production. Leur réaction pouvant induire une perte à court terme, mais un gain à long terme, elle fait naître une problématique temporelle et financière. Elle oppose ainsi l’acteur tenté d’agir contre, et donc d’adapter structurellement sa structure de production, ce qui demande du temps et de l’argent, à celui qui veut faire avec et se contente d’une adaptation conjoncturelle, qui n’est pas durable, mais beaucoup moins coûteuse.

Bien qu’il ne soit pas présent à ce sommet, Olivier Hamant, directeur de recherche à l’INRAE, a été cité de nombreuses fois pour ses écrits préconisant plutôt la robustesse des systèmes et non leur performance, qui résume bien cette opposition. L’adaptation structurelle doit conduire le producteur à privilégier des actions participatives et coconstruites de type « living labs »* (laboratoires vivants), en opposition à des démarches individuelles, et donc à entrer dans une gestion de long terme, mais de façon accompagnée

L’impact des haies sur les flux selon leur implantation

Françoise Burel et Jacques Baudry ont ensuite synthétisé leurs travaux sur les haies, évoquant les flux physiques de l’eau de l’air, en fonction de la qualité des haies et de leurs niveaux de protection. Mais également les flux et les stocks de la faune, en fonction de la position des haies, conçues comme des couloirs de circulation entre les cultures, les zones boisées et les cours d’eau.

La haie, devient ainsi protectrice contre le gel, contre l’érosion (associée à un fossé), facteur de diversité biologique… Son implantation demande une réflexion particulière, car une haie dense arrêtant le froid peut tout aussi bien accroître l’effet du gel qu’assurer une protection. La forme des parcelles a toute son importance, car la haie ayant un « rayon d’action » limité, à surface égale, elle aura plus d’effet sur une parcelle tout en longueur que sur une forme carrée.

Confronter la vision des différents acteurs

La table ronde concluant cette matinée a permis de confronter la vision de différents acteurs sur les notions de paysages, mode d’exploitation pluriel, de polyculture, incluant l’élevage, mais aussi de constater l’énorme frein économique et le peu d’aides orientées dans ce contexte, alors même que la politique de trame verte et bleue (TVB) et les schémas régionaux de cohérence écologique (SRCE) existent depuis de nombreuses années et demeurent presque lettres mortes.

Une intervention plutôt remarquée de Mathieu Bessière, ingénieur agronome, expert en systèmes d’élevage durable, a conclu la matinée. Basé à Perpignan, il a exprimé avec force que l’agroécologie ne saurait être une option dans les années à venir. Faisant face à deux années de sécheresse dans les Pyrénées-Orientales, l’agroécologie représente la seule option possible pour préserver les productions, en mettant en œuvre toutes ses composantes, de la conservation des sols à l’agroforesterie.

L’importance de la matière organique

Spécialiste du carbone, Claire Chenu, directrice de recherches à l’INRAE et professeur consultant à AgroParisTech, a évoqué l’importance de la matière organique consommée et transformée, les temps de résidence des composants et du carbone en particulier. L’échelle temporelle, de l’ordre du mois (labile, entendre mobile) au siècle (stable), traduit véritablement les enjeux à venir.

Elle a également souligné l’importance de la définition des objectifs. Il existe une grande diversité d’options pour augmenter les « entrées » de carbone efficaces, ce qui va augmenter le flux de carbone, mais qui n’assure pas nécessairement sa préservation. Donnant une place à part au biochar, en tant que produit riche en carbone, stable et durable, dopant la vie du sol, qui a aussi une fonction d’amorçage de puits de carbone. Sa conclusion, développée en quatre points, synthétise son intervention. Les matières organiques des sols sont en perpétuel renouvellement, deux aspects sont à considérer parallèlement, les stocks et les flux, en fonction des objectifs choisis. Le choix des matières organiques apportées doit en tenir compte, mais stocks et flux ne s’opposent pas, on peut tout à la fois stocker plus de matières organiques et en minéraliser plus.

Mobilisation des éléments nutritifs

La table ronde sur le thème de la mobilisation et l’immobilisation des éléments nutritifs de la plante et de l’eau a permis de faire le point et réajuster les idées de tout un chacun sur les notions de base. Sylvain Pellerin a rappelé par exemple, que si 3 tonnes de phosphore à l’hectare sont présentes dans les sols agricoles et que les besoins par an sont de 30 kilogrammes par ha, il ne faut pas en déduire que tout est pour le mieux.

La mise en évidence de la disponibilité des stocks est beaucoup plus complexe et nécessite une surface d’échange très importante, beaucoup plus importante que celle de la plante, mobilisant les mycorhizes et tout le système racinaire pour assurer le flux indispensable. Soit un horizon respecté et non travaillé…

Une agriculture fonctionnelle à aider

La journée s’est terminée sur une intervention du sénateur Joël Labbé sur la capacité des politiques publiques. Il est à l’origine de la loi visant à mieux encadrer l’utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national, dite « loi Labbé ». Depuis 2017 pour les collectivités, 2019 pour les particuliers (qui ne peuvent plus acheter, utiliser et stocker de pesticides pour jardiner et désherber), puis 2022, cette interdiction d’usage des pesticides s’est étendue à tous les lieux privés à usage collectif ou accueillant du public. Précisant cette politique d’initiation et de généralisation, Joël Labbé a défendu cette politique de petits pas, parfois exaspérante, mais finalement efficace et non clivante, qui pourrait être dupliquée dans bien d’autres domaines.

La synthèse, réalisée par Brice Giffard, de Bordeaux Sciences Agro, a souligné l’importance d’une agriculture multifonctionnelle et qui doit être aidée à la hauteur des services rendus. Il rejoignait en cela la réflexion de la première table ronde de la journée : il y a les pionniers, les praticiens et les novices, les chercheurs ; il faut apprendre de tous et travailler ensemble.

Marc-André Sélosse, en clôture de cette journée, introduisait la soirée grand public, organisée en partenariat avec la fédération Biogée, qu’il préside, sur le thème « L’agroécologie peut nourrir et désaltérer le monde ». Un public néophyte, toutes générations confondues, est venu nombreux le soir pour assister à cette partie plus didactique.

Le public du sommet agroécologie de bordeaux
Plus d'informations

La totalité du sommet a fait l’objet d’une captation, qui sera mise en ligne sur le site de l’association agroécologique de Carbouey

Le Sommet Agroécologie Bordeaux, outre ses partenaires institutionnels (Région, métropole, Agence de l’Eau) a reçu le soutien de nombreux acteurs du monde viticole, parmi lesquels le Conseil des Grands Crus Classés en 1855, H&A Location, Laffort.

* www.inrae.fr/actualites/changer-monde-livings-labs