Novembre, c’est le Mois de la Bio. Pour Pierre-Henri Cosyns, président des Vignerons Bio Nouvelle-Aquitaine, soit aujourd’hui près du quart du vignoble de Bordeaux, la filière toute entière a besoin de se mettre autour de la table. Pour qu’une réflexion se fasse sur la chaîne de valeur. Il calcule que le vignoble s’appauvrit aujourd’hui d’un milliard par an. Il sent un vignoble perdu, en mal de sens. « Le seul label qui parvient à trouver ses marques à l’international, c’est le bio ! »
Pierre-Henri Cosyns a été élu président des Vignerons Bio Nouvelle-Aquitaine voici deux ans. Le jeune vigneron des Côtes de Bourg n’avait pas envisagé de reprendre le domaine familial. Il y est pourtant revenu après ses années parisienne et s’est investi dans la filière. Représentant aujourd’hui près de 25 % du vignoble bordelais.
Pierre-Henri Cosyns, vous vous êtes installé comme vigneron en 2007, alors que vous vous étiez destiné à d’autres horizons.
Je ne voulais pas être viticulteur. Mes parents vivaient la viticulture 24 heures sur 24. Ils parlaient vigne, réfléchissaient vigne, et quand on partait en vacances, c’était parce qu’on allait vendre du vin. Aussi, je suis devenu ingénieur mécanique. J’ai travaillé à Paris. Et j’ai vu que dans chaque profession, cet autocentrisme existait. Aussi, j’ai repris l’exploitation familiale, parce que ce qui faisait la différence était la liberté.
J’ai passé mon DNO, et je me suis installé en 2007. L’expert-comptable m’a dit : « Un viticulteur est pauvre toute sa vie. Il devient riche quand il cède son patrimoine. » Ce modèle-là n’est plus. Cultiver sa vigne sans débouché commercial, cela aspire tout… Les biens de l’exploitant, ceux de l’épouse… C’est ce que vit une grande partie du vignoble bordelais aujourd’hui.
Les partenaires financiers suivent dans la mesure où nous, vignerons, possédons du patrimoine bâti ou non bâti.
« Avec près de 25 % du vignoble en bio,
ce n’est plus une niche ! »
Vous ressentez la difficulté du vignoble sur le terrain ?
La situation du vignoble est catastrophique. Nous arrivons à des défaillances généralisées des entreprises. La cause n’est pas la non-anticipation du changement climatique, la non-assurabilité des risques ou l’omniprésence des friches. Ces faits sont les conséquences de la véritable problématique : un appauvrissement croissant des vignerons depuis 20 ans qui nous a amenés à cette fatalité.
Je m’en explique. Si l’on s’en tient au Référentiel du Vigneron de la Chambre d’Agriculture de la Gironde, le coût de production au tonneau est de 1 800 € en conventionnel, et 2 100 € en bio. Le problème n’est pas le différentiel entre bio et conventionnel. C’est le prix d’achat du tonneau en conventionnel.
Quand le tonneau est souvent vendu 1 100 € – et aujourd’hui, il s’échange souvent sous les 800 € – en effet cumulé, le vignoble perd 500 millions d’euros de revenu par an et jusqu’à un milliard d’euros de valeur nette…
Il faut le dire. Chaque fois que l’on vend du vin en vrac, on perd de l’argent. On n’ose pas parler de coût / production. Comme si gagner de l’argent était un tabou ! En attendant, nos entreprises sont des zombies, à la frontière entre la vie et la défaillance.
La question du prix de vente inférieure aux coûts de production doit aussi être résolue. La filière ne pouvant se revendiquer de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) quand le vrac reste le maillon faible sur lequel toutes les pressions portent.
Vous faites part d’une analyse froide et pragmatique. Vous représentez bientôt un quart du vignoble de Gironde, que proposez-vous ?
Pour œuvrer pour le bien commun, il va falloir que l’on se mette autour de la table. Si ensemble, négociants et vignerons, nous n’avons plus de raisonnement collectif, quel avenir offrons-nous à la filière ?
Nous pouvons chercher des excuses en permanence. Mais quand on se fixe des objectifs en face, il faut se donner les moyens.
Je regarde la baisse de référencement de vins dans les supermarchés. Nous sommes passés sous les 1 000 références. Aujourd’hui, l’équipe marketing du CIVB est vraiment dans l’air du temps. Sauf que si demain, le consommateur ne trouve pas dans les rayons la référence qui lui est suggérée, la campagne n’est pas profitable. Quand je parle de cette présence en GMS, c’est la mission du négoce. Et on a tendance à croire que c’est au petit d’aller faire le job…
On a vraiment le sentiment que le négoce se préoccupe davantage de ses fichiers Excel que des commerçants de terrain.
Vous ne pensez pas que ce discours peut alimenter une opposition négoce vs viticulture ?
Bien sûr que nous avons des intérêts différents. Mais les mots « filière » ou « union girondine » signifie notre cohérence. À la fin, le collectif peut y arriver. Voici quelques années, il nous a été dit : « Quand vous aurez 40 000 hectos de vins bios, on pourra créer une marque. » Aujourd’hui, nous avons le volume, mais plutôt que d’utiliser cette disponibilité, on constate le renoncement.
Quand on est bio, a-t-on à cœur de mettre encore Bordeaux ou Bergerac sur sa bouteille ?
Mais bien sûr ! Ce que l’on voit chez les vignerons bio qui fonctionnent bien, c’est qu’ils parviennent à produire 10 références sur leurs propriétés, sans que ces produits ne viennent se cannibaliser entre eux.
Je suis comme tout le monde. L’autre jour, dans la volonté de diversification, je m’interrogeais de faire du Vin de France ou de l’IGP. Mais c’est un crève-cœur de ne pas mettre mon appellation sur l’étiquette. Que les choses soient claires, quand je vends du bordeaux Bio : je vends du bordeaux !
Sauf qu’aujourd’hui, l’AOC Bordeaux au supermarché est moins cher que l’IGP Oc. En 2004, il a été dit : « Il faut travailler le milieu de gamme. » Mais cela n’a jamais été institué.
Quand vous êtes indépendant, que vous allez sur un salon, et que vous proposez une bouteille de Côtes de Bourg à 15 €, le client vous dit qu’il a vu votre appellation à 3 € au supermarché. Et l’importateur chinois connaît aussi les prix via internet. Il nous faut donc lancer une réflexion sur la construction du prix, s’interroger sur la chaîne de valeur.
Bordeaux peut avoir un futur désirable. En tout cas, les vignerons bio ne baisseront pas les bras. Ils iront de l’avant.
De grands noms aujourd’hui portent haut l’étendard des vins bio de Bordeaux. Donc la reconnaissance est là.
Les grands crus portent le gros de la notoriété des vins de Bordeaux. Il fut une époque où ils jouaient le rôle de locomotive en respectant le principe de Pareto : 20 % des causes pour 80 % des effets. Mais cela ne fonctionne plus. Il est déroutant de voir des grands noms sortir du classement à Saint-Émilion. Ils traduisent ainsi une perte de confiance dans les classements. Montrent qu’ils sont au-dessus de cela, qu’ils n’ont pas besoin de faire partie du collectif pour leur notoriété, juste au moment où nous avons besoin d’eux.
Le bio représente quasiment 25 % de la surface de production du vignoble bordelais. Cependant, vous ne siégez pas dans les instances.
Vous aurez beau faire, la viticulture de demain se construira sur la gestion des pesticides et la baisse de consommation des intrants. Cela correspond juste à une réalité : le consommateur de demain est épicurien, hédoniste et engagé dans l’environnement.
À Bordeaux, le bio était un peu l’enfant non désiré de la famille. Aujourd’hui, on se dit que l’on peut l’intégrer, parce qu’avec bientôt un quart de la surface de production, ce n’est plus une niche.
Mais oui, nous n’avons pas à ce jour de représentant dit « bio ». Pour être dans les instances, il faut être élu par l’ODG, pour intégrer la FGVB, et mandaté à l’interprofession. Nous sommes donc invités comme « spectateur », sans droit de vote. Et le paradoxe est qu’ensuite on nous reproche d’être commentateur.
Nous observons dans les instances cette facilité à porter ceux qui affichent de la confiance dans les décisions. Et non ceux qui apportent de la nouveauté et du renouvellement. Cependant, en agriculture comme dans les instances, il ne faut pas attendre pour transmettre, cela se prépare. Bordeaux sur ce point doit changer aussi.
Propos recueillis par Emmanuel Danielou