Des pistes de recherche pour limiter les contaminations primaires du mildiou
La 5e édition du séminaire « Vin et Environnement » s’est tenue le 10 novembre à Bordeaux Sciences Agro sur le thème assez peu connu de la reproduction sexuée du mildiou. L’idée est de mieux la connaître pour améliorer la gestion des épidémies. Des pistes nouvelles issues de résultats de recherche sont à l’étude. Elles visent à supprimer l’inoculum issu de la reproduction sexuée en perturbant la rencontre entre souches, en éliminant les feuilles ou en régulant les oospores via le microbiote du sol.
Dans son bassin d’origine, le mildiou n’est pas une seule espèce mais un complexe de cinq espèces. Telle fut la surprise des chercheurs il y a quelques années au regard des résultats de l’analyse génétique de nombreux échantillons collectés massivement aux États-Unis sur des plantes sauvages et des vignes cultivées.
Une seule espèce introduite en Europe
« Le mildiou de la vigne est une algue brune d’origine nord-américaine arrivée en Europe dans la seconde moitié du 19e siècle, a rappelé François Delmotte, directeur de recherche à l'INRAE, spécialiste en génétique des populations et pathologie des plantes. L’objectif de cette vaste étude génétique était de comprendre d'où provient le mildiou présent en Europe et dans le reste du monde.
Les recherches menées ont montré que le mildiou présent en Europe provient d’une seule de ces cinq espèces, à savoir la forme Plasmora viticola f. sp. aestivalis.
Il ressort aussi qu'une seconde espèce (P. viticola f. sp vinifera), identifiée sur les cépages cultivés américains, pourrait aussi s’attaquer aux vignobles européens, mais n’a pas été introduite en Europe à ce jour. »
En prolongement de ces résultats, la question du risque de l’arrivée de cette forme plus spécifique et des moyens de lutte à disposition des viticulteurs européens, y compris des variétés résistantes, est clairement posée. Ce sujet est une question importante car des études ont montré que si les variétés de vigne résistantes au mildiou limitent effectivement sa capacité de multiplication en phase asexuée, en revanche, ces variétés ne bloquent pas sa phase de reproduction sexuée.
Le mildiou a un système de reproduction mixte
Le mildiou de la vigne a en effet un système de reproduction mixte, avec chaque année une seule génération sexuée, laquelle se produit à l’automne, et qui est ensuite suivie de plusieurs cycles asexués.
Pendant la phase sexuée, ont lieu des rencontres de mycélium, ce qui génère des œufs d’hiver (oospores) correspondant à des individus différents et uniques.
À la fin de la phase hivernale, ces formes de conservation évoluent, provoquant les premières contaminations puis l’apparition des symptômes sur les organes verts (feuilles, grain, rameaux).
Par la suite, selon la climatologie de l’année, plusieurs cycles peuvent s’enchaîner. C’est la phase asexuée avec une propagation de spores qui génère des clones, autrement dit, des individus génétiquement identiques.
Mieux connaître la reproduction sexuée du mildiou apparaît intéressant pour approfondir la compréhension des épidémies et, in fine, mieux évaluer les risques, avec toujours cette question de savoir si le mildiou vient du sol et de la parcelle ou s’il transite par l’air.
« Il est à noter, précise Marc Raynal, Ingénieur à l’IFV, animateur de l’UMT SEVEN, que les œufs d’hiver qui constituent l’inoculum peuvent se maintenir dans le sol plusieurs années. La littérature scientifique évoque à ce sujet, des durées de 4 voire 5 ans. Ainsi, l’épidémie d’une année peut avoir comme origine uniquement la phase sexuée de l’année précédente, mais aussi, celles des années antérieures. »
Une étude menée au début des années 2000 en Suisse, en Champagne et à Bordeaux a montré le rôle important de cette phase sexuée dans l’épidémie d’une année. Lors de cette étude, une analyse des souches présentes sur les parcelles avait en effet montré que plus de 70 % des individus, dans plus de 70 % des parcelles suivies, étaient de génotype unique. Autrement dit, très probablement issus de la reproduction sexuée : peu de génotypes semblent capables d’assurer une descendance clonale, et lorsque des clones sont identifiés, on ne les trouve qu’à quelques mètres de la tâche d’origine.
Perturber la phase sexuée
La phase sexuée étant un événement de recombinaison important pour le mildiou, si on la perturbe, on peut espérer diminuer les capacités d’adaptation du mildiou et réduire l’intensité des épidémies en saison.
Des pistes se sont récemment ouvertes sur ce thème à la faveur de résultats de recherche. « Le mildiou de la vigne est une espèce hétérothallique, c’est-à-dire que seul des individus de type sexuel différent peuvent s’accoupler et produire une descendance qui constitue l’inoculum de l’année suivante. Pour accomplir le cycle sexué, poursuit François Delmotte, les souches de mildiou communiquent entre elles via la production d’hormones qu’elles relarguent à l’extérieur. Cette hormone issue d’un précurseur, le phytol, contenu dans la plante, est reconnue par les récepteurs de la membrane de l’autre individu, qui à son tour la transforme légèrement et la relargue dans le milieu pour qu’elle soit recaptée par le premier individu. Récemment, nous avons fait une découverte majeure sur ce sujet en identifiant les gènes responsables du type sexuel chez le mildiou de la vigne, autrement dit, les gènes impliqués dans la transformation du phytol en hormone de reconnaissance sexuelle. Cette découverte, couplée à l’identification des hormones associées au type sexuel, ouvre la possibilité de perturber la reproduction sexuée. Un nouveau mode de lutte pourrait alors être imaginé, qui consisterait à mettre au point un procédé pour tromper le mildiou en saturant le milieu avec ces hormones spécifiques de la reconnaissance des types sexuels. Une sorte de confusion sexuelle du mildiou avant la phase sexuée pour tenter de perturber cette phase, ce qui devrait conduire à limiter l’intensité de l’épidémie de l’année. »
Supprimer l’inoculum primaire
Supprimer les œufs avant qu’ils ne tombent au sol à l’automne est aussi voie de recherche. Y parvenir reviendrait à supprimer l’inoculum tant qu’il est dans les feuilles. L’effeuillage de la vigne est envisagé, avec la question de son automatisation, mais aussi celle de l’hygiénisation des feuilles par le compostage. La restitution de cette matière organique à la vigne puis l’évaluation des effets de ces mesures prophylactiques vis-à-vis de l’épidémie de l’année suivante sont aussi à étudier. Tout comme la détermination des facteurs physiologiques qui, dans la feuille, déclenchent cette reproduction, ou encore, l’impact de la défoliation tardive sur la physiologie de la vigne, sur la mise en réserve et sur la qualité de la récolte de l’année suivante. « En supposant que de telles mesures permettent effectivement de diminuer la pression du mildiou par la suite, poursuit François Delmotte, cette piste pourrait alors ouvrir la porte à une utilisation plus importante en saison des méthodes alternatives, dont on connaît les limites en cas d’épidémies importantes. »
Mieux connaître l’inoculum dans le sol
D’autres recherches se concentrent aussi sur l’inoculum dans le sol. Le but étant de mettre au point un outil pour caractériser et quantifier cet inoculum dans le sol. Les facteurs étudiés ici sont la concentration et la répartition en oospores du sol avec l’idée de préciser une méthode d’échantillonnage représentative qui permettrait de définir une sorte de « signal-mildiou » marqueur du pouvoir de contamination pour une épidémie à venir. « Une dernière piste, très hypothétique, conclut François Delmotte, est aussi envisagée pour lutter contre les œufs dans le sol. Elle consisterait à analyser le microbiote associé aux œufs dans le sol et à rechercher d’éventuels micro-organismes antagonistes de ces œufs. L’idée pourrait être ainsi de favoriser la « prédation » des œufs par le microbiote du sol pour limiter la germination de l’année suivante. »
Marie-Noëlle Charles