Bordeaux, vignoble leader des certifications environnementales
Quelle progression ! En 2018, la Gironde comptait 8756 hectares viticoles en bio (certifiés et en conversion). En 2020, le vignoble bordelais affiche 19953 hectares (certifiés et en conversion). Un boom impressionnant qui en fait le 1er département viticole bio de France en superficie et en nombre d’exploitants.
Et côté HVE, la Gironde caracole en tête, loin devant tous les départements de France : le nombre d’exploitations certifiées a doublé en 18 mois seulement.
Les compteurs de la conversion bio se sont affolés en 2020. La Gironde était déjà le premier département viticole bio (depuis 2019) en superficie, mais l’année passée, elle a pris une longueur d’avance spectaculaire sur les autres départements viticoles de France.
En deux ans, la superficie viticole bio en Gironde a plus que doublé. Avec près de 20 000 hectares au compteur à ce jour, la densité de vigne bio est aujourd’hui de 17,80 % du vignoble bordelais. C’est toute la région qui a engagé une mutation. La Nouvelle-Aquitaine a enregistré une hausse des superficies viticole de + 35 % en 2020.
La différence entre la Gironde et les autres vignobles de France, c’est que lorsque le paquebot « Vins de Bordeaux » engage un virage, les répercussions sont démultipliées du fait de sa superficie et de son nombre d’acteurs.
Certes, la Gironde n’a pas la densité de conversion bio d’autres vignobles, méditerranéen ou alsacien. La vallée du Rhône et le Languedoc bénéficient du Mistral et de la Tramontane qui jouent le rôle « d’assécheur » lors des épisodes de mildiou. L’Alsace, et notamment la poche de Colmar, souffre de faibles précipitations qui limitent l’impact des maladies cryptogamiques.
Malgré la pression de ces maladies sur la façade océanique (2018 et 2021 auront fortement mis à l’épreuve le vignoble girondin), le Bordelais s’affiche comme un vignoble vertueux et au-delà des mots, les engagements se traduisent en chiffres.
L’été 2021 aura sûrement des répercussions sur les exploitations certifiées et en conversion, tant la pression mildiou a été forte. Cette pression, conjuguée à l’épisode de gel, aura obligé certains viticulteurs à composer.
Là où certains envisageaient de gravir les marches quatre à quatre, ils vont sans doute devoir réévaluer le facteur risque d’une telle démarche.
Faut-il imaginer que cela porte un coup d’arrêt aux conversions ? Sans doute cela risque-t-il de ralentir la croissance, mais le marché lui, a déjà engagé ses habitudes d’achats. Et les foires aux vins de l’automne vont faire fi des aléas climatiques, et mettre en avant les vins dotés d’une mention ou d’une certification pour les valoriser auprès des acheteurs.
Tous ceux qui sont retournés au restaurant cet été ont pu constater, que ce soit en Provence, au Pays basque, en Bretagne, à Paris et bien sûr à Bordeaux, combien les cartes des vins ont évolué depuis le premier confinement. Les logos HVE, Terra Vitis, Bio, Demeter ou Biodyvin sont devenus des indicateurs de plus en plus présents pour guider les clients.
Cette évolution a été soutenue par les ODG de Bordeaux depuis plusieurs années. Par des mesures d’accompagnement d’abord (Bordeaux et Blaye par exemple). Voire par des évolutions des cahiers des charges. Des décisions prises dans les différentes appellations, avec une obligation de certifications environnementales (HVE ou bio, à la discrétion des viticulteurs). Le Conseil des vins de Saint-Émilion fait figure de pionnier national en la matière avec une obligation de couvrir à 100 % son territoire au 1er janvier 2023. Il est suivi par les Côtes-de-Bourg, qui travaillent dans le même sens. Cet été, Médoc et Haut-Médoc ont annoncé des engagements du même type.
La superficie en bio a doublé en 2 ans
Depuis plusieurs années aussi, les Vignerons indépendants ont encouragé et accompagné leurs adhérents dans l’obtention de certifications, notamment en HVE.
Les caves coopératives elles aussi ont fortement incité leurs adhérents à s’engager dans les certifications environnementales. Symbole de cette évolution, les Vignerons Bio Nouvelle-Aquitaine ont ouvert leur conseil d’administration à un représentant des caves coopératives.
Il faut aussi souligner la volonté du négoce de peser sur ces obtentions de certifications. Il en a souvent fait un prérequis pour permettre, auprès de la grande distribution notamment, de redorer le blason de Bordeaux auprès des consommateurs.
Au-delà d’une appellation, c’est donc tout un vignoble qui se mobilise. Et c’est cette émulation sur le terrain qui fait aujourd’hui la différence.
Le résultat est impressionnant. Doublement de la HVE en 18 mois (en nombre d’exploitations - le ministère n’indique pas les superficies concernées dans ses chiffres.) Passant de 1 047 exploitations certifiées en janvier 2020 à 2 283 en juillet 2021.
Le bio a plus que doublé sa superficie entre 2018 et 2020, passant de 8 756 hectares à 19 953 ha. Quant au nombre d’exploitations, la courbe est similaire : la Gironde comptait 532 viticulteurs bio en 2018, elle en dénombre 1 034 en 2020.
Comment le vignoble bordelais a-t-il pu connaître une telle évolution ? Parce que l’ensemble des acteurs s’est mobilisé. Le CIVB a porté le Système de management environnemental (SME). Lequel a engagé un travail collaboratif pour valoriser les bonnes pratiques et montrer des exemples concrets aux viticulteurs. Bordeaux s’est aussi emparé du HVE sans doute plus tôt qu’ailleurs.
Sur le terrain, cela s’est traduit par un effet d’entraînement des démarches. Les viticulteurs ont eu le choix de l’orientation, ils l’ont traduit avec leurs convictions, leurs cibles de marché, leurs motivations, leurs moyens aussi. « Je passerais bien davantage de superficie en bio, expliquait voici peu un viticulteur, mais je manque de tractoristes. »
Le conseil technique s’est développé
Face à l’offre des certifications, les ODG se sont organisés. Le monde des conseillers viticoles s’est structuré, un peu sur le modèle de ce qu’avait engagé voici quelques années le SME du Vin de Bordeaux ou le réseau Dephy. Les ODG ont musclé leurs équipes techniques, et ont travaillé de concert avec la Chambre d’agriculture de Gironde. Les caves coopératives ont recruté de jeunes ingénieurs et techniciens à même de répondre aux attentes des coopérateurs et de les accompagner.
Le bio a aussi bénéficié de démarches d’accompagnement. Agrobio Gironde aide les viticulteurs lors de la conversion. La Chambre d’agriculture en fait de même avec le recrutement d’un conseiller bio supplémentaire. Le nouveau dispositif des « Grappes Bio » soutient la démarche globale. Et du côté des Vignerons Bio Nouvelle-Aquitaine, les conseillers techniques sont organisés en réseau à l’échelle de la région.
Quelle que soit la démarche engagée, la volonté est de permettre une réflexion en commun, de favoriser les échanges et d’aider à surmonter les obstacles. Cette mise en « grappe » et ce travail en équipe soutiennent les nouveaux venus et incitent les plus anciens, dans une démarche pédagogique, à s’interroger sur les fondamentaux qui permettent de mener à bien une démarche, une conversion, même si le chemin est sinueux et à risque.
Un engagement selon ses convictions et moyens
Finalement, les oppositions entre labels semblent ne pas concerner le terrain. Il s’est produit une mobilisation générale pour répondre à la demande du consommateur. Bordeaux montre son évolution, son engagement, et se donne les moyens de répondre aux attentes sociétales et de ses clients. Force est de constater qu’en France, sauf rares exceptions, là où la HVE est très présente, le bio l’est également. Dans le cas précis de Bordeaux, l’émulation entre HVE et Bio a permis un engagement, à chacun selon ses convictions et moyens, avec pour résultat la mobilisation de l’ensemble du vignoble pour faire évoluer ses pratiques. Lors de la dernière édition de la remise des Trophées Bordeaux Vignoble Engagé, Rodolphe Wartel, directeur de Terres de Vins déclarait : « Il faut espérer que Bordeaux passe enfin du statut d’accusé présumé à celui d’éclaireur. » Les chiffres actualisés montrent largement que Bordeaux a pris à bras-le-corps le sujet des démarches environnementales. Et que Bordeaux fait figure d’éclaireur désormais à l’échelle nationale.
Le monde agricole est souvent considéré comme fonctionnant avec un temps de retard sur les problématiques sociétales.
Dans le cas présent, et les chiffres tant HVE que bio le montrent, la viticulture a engagé massivement sa mutation par anticipation. Il n’est pas une réunion de terrain sans que ne soient abordées les questions d’environnement, mais aussi les questions d’adaptation au changement climatique.
En s’interrogeant sur ces points, la viticulture passe d’une posture défensive à une posture offensive pour pérenniser la production viticole. Et derrière ces chiffres qui ne sont qu’un état des lieux, c’est toute une filière, depuis les pépiniéristes jusqu’aux négociants, en passant par les chercheurs et bien sûr les viticulteurs, qui avance groupée pour mieux se projeter dans l’avenir
Emmanuel Danielou