Pour un retour gagnant des brebis dans les vignes

Organisée par Agrobio Gironde en partenariat avec les chambres d'agriculture de la Gironde et de la Dordogne, une journée technique a exposé les nombreux avantages du pâturage hivernal des vignes par les brebis, pratique ancestrale peu à peu disparue en Gironde. Un « partenariat gagnant à la fois pour l’éleveur et le viticulteur », la difficulté étant de faire se rencontrer les porteurs de projets.

Union Girondine

Effervescence inhabituelle, ce 25 février, au Château Ferran à Saint-Pierre de Bat, dans le Haut-Benauge. Le domaine d’Alain Ferran et de son fils Julien, 28 ha de vignes en agriculture bio et biodynamie, accueillait la journée technique « Des Brebis dans les vignes ? » organisée par Agrobio Gironde en partenariat avec les Chambres d’agriculture de Gironde et de Dordogne. De nombreux viticulteurs et plusieurs futurs éleveurs étaient présents, venus de l’Entre-Deux-Mers, du Médoc ou du Nord-Gironde, signe que le pâturage ovin intéresse de plus en plus.

La journée s’inscrivait dans le cadre du réseau Dephy Ferme d’Agrobio Gironde et de la restitution du projet CASDAR « Brebis_Link » (lien en anglais) soutenu par la CA 24 et ouverte par Paul-Armel Salaun, ingénieur réseau Dephy Ferme et conseiller viticulture bio.

« Cette pratique traditionnelle du Bordelais a été abandonnée il y a une quarantaine d’années. Elle revient peu à peu au goût du jour avec les nombreux bénéfices agro-écologiques qu’elle procure, aussi bien pour l’éleveur que pour le viticulteur. »

Le but du projet Brebis_Link, mené de janvier 2018 à juin 2021, est de mettre en avant les valeurs agro-écologiques et sociales du pâturage ovin sur la mosaïque de cultures et milieux naturels qu’offre le Grand-Sud-Ouest.
« Il s’agit de promouvoir le pâturage ovin sur les surfaces additionnelles, autres que les prairies, ici les vignes, explique Camille Ducourtieux, responsable du projet et conseillère ovin à la Chambre d’agriculture de la Dordogne. Nous avons réalisé une enquête en Gironde auprès d’éleveurs, qui amènent leurs brebis dans les  vignes  et  de  propriétaires qui font pâturer leur vignoble. Nous avons recensé,  analysé  puis  testé  les  pratiques sur une plate-forme au lycée de Monbazillac et nous diffusons maintenant les supports techniques et des outils d’aide au partenariat entre éleveurs et viticulteurs. »

Un entretien naturel des inter-rangs

Pour le viticulteur, en résumé, le pâturage hivernal des brebis dans les vignes limite les opérations d’entretien de l’inter-rang et augmente la proportion de légumineuses. Le passage des brebis une à deux fois au cours de l’hiver, de l’après-vendange (quand les feuilles sont tombées) jusqu’au débourrement, limite l’entretien mécanique et génère donc des économies en temps et en carburant, sachant que les bêtes consomment la parcelle de façon homogène et nettoient les inter-rangs et les inter-ceps.

Le pâturage assure aussi un apport de matière organique via les déjections des brebis et améliore la structure du sol.

Il retarde le premier passage de travail du sol avec de l’herbe rase en sortie d’hiver. Il est également possible de faire pâturer les brebis pour l’effeuillage, entre la nouaison et la véraison, mais cela nécessite une grande surveillance.
Le pâturage ovin améliore aussi la composition de la flore (27 % de légumineuses en plus sur la parcelle pâturée au lycée de Monbazillac). « Les légumineuses contribuent à favoriser les insectes sur la parcelle de vigne, souligne le conseiller viticole Laurent Colombier dans la restitution de l’enquête. Le trèfle blanc stimule l’activité microbienne du  sol. Ce type d’enherbement couvre rapidement le sol et étouffe les espèces indésirables dès leur implantation. Une fois installé, il est peu concurrentiel en été et ne consomme plus d’eau. Les légumineuses sont donc intéressantes dans l’inter-rang et sous le rang. »
Par ailleurs, la présence des brebis ne modifie pas les pratiques et travaux viticoles : la taille, par exemple, peut se faire avec elles sans problème.

Pour l’éleveur ovin, le pâturage des vignes offre une ressource à ses bêtes en hiver. Qu’il s’agisse d’un couvert semé à l’automne ou bien d’une prairie naturelle sur des sols profonds, la biomasse des inter-rangs est de bonne valeur alimentaire, équivalente à celles d’une herbe jeune et feuillue de printemps. Elle varie du simple au triple selon la nature du sol et la largeur des inter-rangs (voir fiche ci-dessous). Un couvert semé peut être plus intéressant pour l’alimentation des animaux mais il doit répondre en priorité aux besoins du viticulteur puisqu’il est généralement semé à ses frais.

Le pâturage des vignes impose quelques précautions.

« Les ovins sont des animaux grégaires et ont besoin d’endroits dégagés en bout de rang pour se coucher ensemble », indique Camille Ducourtieux. Les brebis doivent également être habituées à la clôture électrique. « Le pâturage reste plus facile à gérer avec des inter-rangs larges et du palissage à hauteur ».

« Augmenter le troupeau jusqu’à 50 brebis »

« Notre domaine viticole est entouré de parcelles sauvages, c’est un endroit magnifique ici. Nous sommes en biodynamie depuis une quinzaine d’années et la présence de brebis nous a paru judicieux dans cette démarche, explique Alain Ferran, qui souhaitait non pas être viticulteur mais éleveur.
Arrivé à la retraite, il a pu concrétiser ce souhait en louant pendant un an, puis en rachetant, en octobre 2020, un troupeau de brebis landaises au Conservatoire des Races d’Aquitaine. Un cheptel de 34 mères, 21 agneaux en ce début de printemps et 1 bélier. « Nous les faisons tourner sur 16 ha (13 ha de vignes, 2 ha de bois et 3 ha de près) au rythme d’une semaine par hectare pour éviter le piétinement.

Depuis, on a constaté une activité incroyable des vers de terre, un changement des fleurs avec beaucoup de graminées et d’annuelles.

Nous voulons augmenter le troupeau jusqu’à 50 brebis, soit près de 100 animaux avec les agneaux. »
Le viticulteur a été pressé de questions par l’assemblée, enchaînant les réponses. « Nous avons gagné un mois de tonte, ce qui permet d’étaler les travaux à façon. Nous faisons pâturer les brebis de la mi-décembre jusqu’à la sortie des bour- geons. Mais attention, dès pointe verte, elles les voient ! Elles n’ont pas encore d’abri mais nous envisageons de construire une bergerie. La brebis landaise est une race rustique, d’autres ne pourraient pas être dehors tout le temps. En été, elles se réfugient dans les sous-bois. Il n’y a pas de surveillance quotidienne, sauf lors de la période des agnelages. Pour la nourriture, la période la plus difficile va de début janvier au 20 février, avec une herbe pleine d’eau, qui n’a pas la même valeur, nous leur apportons alors quelques seaux d’oligo-éléments. Elles mangent très peu de foin, pas contre, elles adorent les restes de rafles ! Autre période critique : le mois d’août et les fortes chaleurs, alors que nous sommes sur des argiles où l’herbe pousse… En été, il faut également leur apporter de l’eau. Nous avons deux gros chiens de protection, des patous, très gentils - c’est mieux s’ils sont deux car ils jouent beaucoup ensemble - et nous n’avons plus de problèmes de sangliers et de chevreuils. »

Le cheptel constitue aussi un débouché commercial

Le cheptel constitue aussi un débouché commercial : les agneaux sont emmenés à l’abattoir de Bergerac et vendus en caissette en circuit familial et de voisinage, le viticulteur témoignant d’une forte demande locale.

D’autres questions ont porté sur les traitements. Les ovins sont sensibles à un excès de cuivre et dans les vignobles traités, l’herbe peut ne présenter aucun risque ou concentrer des niveaux supérieurs au seuil de toxicité. Cependant, aucun éleveur enquêté n’a relaté de problème sanitaire à ce sujet.
La prudence est recommandée et les éleveurs demandent généralement de traiter en dehors de la présence des brebis, en respectant un délai de retour parcelle.
Jean-Pierre Dugat, conseiller élevage à la Chambre d’agriculture de la Gironde, a exposé les démarches nécessaires à l’acquisition d’un cheptel : déclaration au Syndicat ovin pour attribution d’un numéro de cheptel, déclaration vétérinaire, mesures de prophyllaxie, procédure d’identification IGP et pose de boucles pour tous les animaux, as- surances… Les éleveurs peuvent bénéficier d’aides de la PAC et le Conseil départemental de la Gironde octroie des aides sous conditions, pour l'acquisition de matériel (clôtures, etc.), pour les bâtiments, les effluents...

Des éleveurs très peu nombreux

Si Alain et Julien Ferran ont choisi d’installer leurs propres bêtes, la majorité des viticulteurs présents envisagent plutôt de faire intervenir un éleveur. La difficulté étant qu’ils sont très peu nombreux à l’heure actuelle en Gironde, qui ne compte que 23 000 ovins contre 68 000 en Dordogne et en Charente. La piste qui se dessine est plutôt celle de l’installation de nouveaux éleveurs.
Le sujet est d’ailleurs au cœur du projet Brebis_Link, conçu pour diffuser des outils d’aide au développement du pâturage ovin sur les surfaces additionnelles, ancrer les élevages le pratiquant et dynamiser les territoires.
Camille Ducourtieux a notamment détaillé le « Guide du partenariat en pâturage ovin » établi dans le cadre du projet pour un équilibre « gagnant-gagnant » entre éleveur et viticulteur. « L’idée est que chacun comprenne bien le métier de l’autre, souligne-t-elle. La pratique doit être attractive et équitable pour les deux parties. Il faut ainsi vérifier l’intérêt fourrager du couvert, élaborer un calendrier prévisionnel de pâturage et d’interventions, anticiper les risques pour la culture et les animaux, s’adapter aux conditions du moment… Pour un partenariat durable, il est indispensable de bien communiquer et échanger. »

  • Cécile Poursac

Contact : Paul-Armel Salaun,
Agrobio Gironde,
ingérieur Réseau Dephy Ferme et conseiller viticulture bio,
tél. 06 71 84 24 81 pa.salaun@bionouvelleaquitaine.com
Livrables du projet Brebis_Link disponibles sur https://dordogne.chambre-agriculture.fr

Laurent Cassy : « Partager les ressources du territoire et aider les jeunes »

Laurent Cassy, viticulteur et céréalier bio membre du réseau Dephy Agrobio Gironde, président des Vignerons Bio Nouvelle-Aquitaine, figurait parmi les participants. « La journée a été très intéressante et a donné une bonne vision de la pratique. On a bien vu qu’on ne peut pas se lancer la fleur au fusil ! Avec quelques viticulteurs engagés en biodynamie, on réfléchit à cet échange entre éleveurs et viticulteurs. Aucun de nous ne pourrait seul s’occuper d’un troupeau, alors que partager les ressources du territoire est très pertinent. L’idée serait d’aider un jeune couple d’éleveurs à s’installer et à monter un atelier de découpe. Mais un tel projet doit être viable et accompagné. C’est d’ailleurs la volonté de la Région, qui accorde des aides importantes à l’installation, et il faut s’en féliciter. Nombre de vignerons souhaitent proposer leurs terres et vignes en pacage, mais les éleveurs ont presque disparu en Gironde. Il n’y a d’ailleurs quasiment plus de fumure disponible et il faudrait retrouver un approvisionnement local. il s’agit de réintégrer l’animal dans un ensemble territorial. La difficulté est surtout d’identifier les porteurs de projets. Il est en tout cas important d’aider des jeunes à s’installer, de partager les richesses du territoire et de mutualiser nos efforts. Il est important de retrouver une partie de notre patrimoine et d’œuvrer pour les jeunes générations. »