Cellule conseil de Cerfrance : « Nous accompagnons, en co-construction, les entreprises en difficulté »

Cerfrance dispose sur la Gironde d’une cellule conseil comptant12 membres intervenant sur le territoire. Des femmes et des hommes formés à l’agriculture et à la viticulture qui soutiennent les exploitations en difficulté. Antony Cararon, qui pilote cette cellule, invite les viticulteurs à réagir avant d’en venir aux situations d’urgence.

Union Girondine

Antony Cararon a été formé à l’agriculture, et les aléas de la vie l’ont amené à travailler à Cerfrance, le cabinet comptable qui intervient dans de très nombreux domaines viticoles. Ils sont une douzaine de conseillers, répartis sur le département à intervenir ainsi auprès des entreprises qui traversent des difficultés.

Union Girondine : Antony Cararon, vous êtes responsable de la cellule conseil de Cerfrance Gironde, pouvez-vous nous expli- quer votre mission ?

Antony Cararon : Nous sommes pour la plupart, à la base, issus de formations agri- coles, voire ingénieurs agronomes, avec une formation complémentaire économique. Le plus souvent, ce sont les comptables qui vont nous alerter sur des situations difficiles d’exploitations.

Nous allons donc rencontrer les agriculteurs et viticulteurs. Il s’agit de comprendre l’histoire de l’exploitation, prendre en considération les aspects techniques, mais aussi les aspects personnels de l’entreprise, et poser un diagnostic.

U.G : Quelles sont vos premières observa- tions sur les difficultés d’entreprises ?

A. C : Il y a une pudeur dans le monde agricole en général, et aussi en viticulture à parler de ses difficultés. Aussi, souvent, nous sommes sollicités dans l’urgence. Dans ces situations de tension, on va traiter avec le viticulteur ce qui est du ressort du court terme. On accompagne le client dans ses négociations bancaires. On peut aussi, si cela est nécessaire, assurer un accompagnement administratif et juridique sur des cas de procédures de mandat ad hoc, voire sur des plans de sauvegarde ou de redressement.

U. G : Ce que vous décrivez là, ce sont des situations d’urgence, mais votre objectif est d’engager un accompagnement au long cours.

A. C : Tout à fait. Il faut se rendre compte que les viticulteurs sont à la fois présents au vignoble, présents sur la partie commerciale, et même chez ceux pour qui cela marche bien sur le plan économique, ils expliquent être fatigués d’être partout à la fois.

U. G : Quelle est donc votre action pour soulager les vignerons qui sont un peu « la tête dans le guidon » et qui ont besoin de prendre du recul pour redonner de la visibilité à leur entreprise ?

A. C : Au-delà de l’aspect conjoncturel, on va donc aborder la question structurelle de l’entreprise. On va se poser toutes les questions, et envisager ce que l’on peut faire bouger. Pendant cette phase, on met tout sur la table. On ne s’interdit rien. Faut-il arracher de la vigne ? Faut-il se convertir en bio ? On y va sans recette, mais nous avons notre expérience avec nous.

U. G : Quel est l’enjeu de ce temps de réflexion ?

A. C : Cela permet de poser un diagnostic. Chaque cas est différent. Il n’y a pas de solution miracle, mais nous proposons une expertise. Une fois le diagnostic établi,

on va mettre en place un plan d’action en co-construction. Car il faut garder à l’esprit que c’est le viticulteur qui connaît le mieux son affaire.

« Des viticulteurs fatigués d’être partout à la fois »

U. G : Est-ce que ce service de conseil est payant ?

A. C : Oui. Il s’agit d’une activité de conseil au sein d’un cabinet comptable. Le premier rendez-vous est gratuit, ensuite nous réali- sons un devis et nous engageons l’accompagnement. Certes, nous avons des connaissances comptables, mais le fait d’être issu de l’agriculture, d’être passionné par la viti- culture comme les viticulteurs le sont, fait que nous engageons un accompagnement humain, parce que l’on y croit.

Nous constatons que le frein à l’accom- pagnement n’est pas le prix. On observe que les gens qui sont dans le doute sont perdus. Certains ont le sentiment que l’on ne peut rien faire pour eux. Qu’ils ont déjà balayé toutes les solutions. Notre rôle est d’avoir un regard distancié, une expertise, un réseau.

U. G : Avec la crise, les demandes de conseils et d’accompagnements sont-elles plus massives ?

A. C : Nous avons plus de demandes qu’il y a un an, mis ce n’est pas plus fort que ça. Il y a toujours cette pudeur à en parler.

U. G : Vous avez plusieurs années d’ex- pertise, quelles sont les difficultés que vous observez ?

A. C : Les situations dans la viticulture girondine sont loin d’être homogènes. Tout d’abord, il faut avoir à l’esprit que la viticulture bordelaise a connu des difficultés bien avant la crise du COVID. L’inversion du marché a débuté à l’automne 2018. Ensuite, la crise du COVID a accentué les difficultés notamment chez ceux qui vendaient aux particuliers, et qui n’ont pu profiter des portes ouvertes ou des salons. Ce profil de viticulteurs a été fortement impacté.

Il y a ensuite les « vracqueurs » qui n’avaient pas su ou qui n’avaient pas pu tisser des par- tenariats avec le négoce bordelais. Pour eux, quand la demande s’est inversée, la situation est devenue parfois très difficile à partir de 2018. Ils se trouvaient alors à produire des vins qui n’étaient plus en connexion avec le marché. On peut trouver ce type de schéma en Bordeaux, mais aussi en Médoc.

Ceux qui ont tissé des partenariats avec le négoce étaient le plus souvent ceux qui étaient en lien avec le marché, et qui avaient une idée des attentes clients. Et ils semblent mieux résister...

U. G : On pense aussi aux viticulteurs à quelques années de la retraite pour qui il n’est pas aisé de retrouver de la motivation pour engager le changement.

A. C : J’allais y venir. C’est une réalité que nous observons. Dans ces moments-là, notre rôle de conseil est de les aider à tenir pour les deux ou trois années restantes. Mais quand les viticulteurs sont plus jeunes, nous les aidons à remettre en place un nouveau modèle de production, et parfois de distribution. Mais cela demande du temps, et aussi de l’argent.

« Je n’ai qu’un conseil à donner : l’anticipation ! »

U. G : Il est des modèles économiques qui parviennent à faire face dans la tempête.

A. C : On voit des entreprises de l’Entre- Deux-Mers qui parviennent, avec des stratégies volume / prix à tirer leur épingle du jeu. Ailleurs, des entreprises qui ont engagé des expertises marketing ou commerciale, et dont les vins sont adaptés au marché.

U. G : Est-ce que la crise engendre des ré- flexions au long cours ?

A. C : Pour le moins. La Gironde a fait du « tout viticulture » depuis plusieurs années. Nous amenons certains profils de viticulteurs à trouver des évolutions hors du cadre viticole pour envisager une diversification de leur production.

U. G : Pourquoi de telles alternatives ?

A. C : Regardons de façon macroéconomique, Bordeaux commercialise 4 millions d’hectolitres par an, quand le vignoble en produit 5 millions d’hectolitres. Mais ce delta fait 20 %. Ce n’est pas rien. Aujourd’hui, les entreprises tiennent grâce au PGE. Dans quelques jours, les travaux de la vigne reprennent, et avec elles les difficultés de trésorerie.

U. G : Si vous aviez une recommandation à faire aux viticulteurs qui connaissent des difficultés en ce moment ?

A. C : Ce n’est pas facile de demander de l’aide. Mais mon conseil aujourd’hui tient en un mot : l’anticipation !

Contact : acararon@33.cerfrance.fr

Propos recueillis par Emmanuel Danielou