À quelles conditions le fermier peut-il résilier son bail ?
En cette période difficile, des exploitations risquent, au cours des mois prochains, de se trouver dans une situation de vulnérabilité. Dans le cadre de la réflexion que doit alors avoir un vigneron pour repenser son périmètre d’exploitation, cet article traite des conditions juridiques de cessation d’exploitation partielle quand celle-ci est organisée par voie de bail rural.
En cette période difficile pour notre économie en général et pour notre filière vinicole en particulier, due à la contraction du commerce international et amplifiée, au cours de l’année 2020, par la pandémie Covid-19, de nombreuses exploitations risquent, au cours des mois prochains, de se trouver dans une situation de vulnérabilité extrême.
Nous rappelons, dans ce sens, les articles parus dans l’Union girondine sur ce sujet difficile et qu’il conviendrait de relire (voir les numéros de février et avril 2020). Notre propos, aujourd’hui, est de traiter d’un sujet connexe dans le cadre de la réflexion que doit avoir un vigneron, dans cette situation de vulnérabilité, de savoir repenser son périmètre d’exploitation, surtout lorsque celui-ci se trouve être titulaire de plusieurs baux ruraux (à ferme ou à métayage) quelle que soit leur durée.
En effet, nombreux pensent que la réduction de surface d’exploitation est une solution économique pour passer le cap de la ou des difficultés. Nous laissons l’analyse économique et financière à nos amis des chiffres.
Intéressons-nous aux conditions juridiques de cessation d’exploitation partielle quand celle-ci est organisée notamment par voie de bail rural. En un mot, il est question de la résiliation de ce dernier en cours d’exécution, rappelant ici qu’au terme dudit bail, le preneur peut re- noncer à son renouvellement en notifiant au bailleur cette volonté par voie d’acte huissier ou lettre RAR (en recommandé avec accusé de réception) dix-huit mois avant la date d’expiration, sans que celui-ci ne puisse s’y opposer.
Rappelons à ce stade, que le statut du fermage qui régit notre sujet est d’ordre public et que les règles énoncées ci-après s’appliquent par exclusion de toutes autres conventions qui seront déclarées réputées non écrites et de nul effet. Nous nous plaçons bien évidemment dans l’hypothèse où l’initiative de la demande de résiliation émane du preneur (personne physique ou personne morale) titulaire du droit au bail.
Il s’agit plus précisément de voir à quelles conditions la rupture du bail à l’initiative du preneur peut être acceptée par le bailleur (1) et, à défaut, lui être imposée (2).
1. La résiliation amiable, fruit de l’accord des deux parties
Suivant l’adage bien connu des juristes, qui rappelle au passage les origines rurales de notre Droit civil : « On lie les hommes par la parole comme les bœufs par les cornes ». Or une fois la parole donnée, c’est-à-dire le contrat de fermage conclu, le preneur ne peut plus se délier de ses engagements sans l’accord de son bailleur. A contrario, si les deux parties s’entendent pour résilier le bail sans attendre son terme, elles en sont parfaitement libres, à une double condition, à savoir :
- l’interdiction au moment de la conclusion du bail, d’organiser contractuellement la future « éventuelle » résiliation ;
- la formalisation écrite (protocole de résiliation) du consentement réciproque des par- ties et de la volonté du preneur de renoncer à ses prérogatives légales.
Dès lors, le bailleur n’est pas tenu de délivrer au preneur un congé dans les formes et délais impartis par le statut (acte d’huissier motivé obligatoire et dix-huit mois avant la fin du bail), mais il est conseillé de formaliser la résiliation par un protocole de sortie.
Dans le cadre de ce protocole, devront être réglés les sujets relatifs aux impenses (dépenses réalisées) et améliorations du fonds apportées par le preneur pouvant ouvrir droit à ce qu’il est de coutume d’appeler « l’Indemnité au preneur sortant », à condition que celles-ci et pour certaines aient été autorisées expressément par le bailleur.
Mais que se passe-t-il lorsque le bailleur refuse la résiliation ?
2. La résiliation judiciaire à l’initiative du seul preneur
Si les motifs de résiliation du bail à l’initiative du bailleur sont bien connus, les possibi- lités de résiliation à l’initiative du preneur le sont moins. Ils existent pourtant : ils trouvent leur source, soit dans la législation rurale (2.1), soit dans d’autres branches du droit que sont le Droit civil et le Droit des entreprises en difficultés (2.2).
2.1 – Les motifs de résiliation prévus par le Code rural
Le statut du bail rural étant d’ordre public, le législateur a organisé de façon restrictive les motifs de résiliation du bail à l’initiative du preneur .
Ces motifs sont exclusivement les suivants :
• L’incapacité au travail grave et dont la durée est supérieure à deux ans du preneur ou de l’un des membres de sa famille indispensable à « la ferme » (terme employé par le Code Rural et de la Pêche Maritime) ;
• Le décès d’un ou de plusieurs membres de la famille du preneur indispensables au travail de la ferme ;
• L’acquisition d’une ferme qu’il doit exploiter lui-même ;
• Le refus d’autorisation d’exploiter opposé par l’autorité administrative (le Préfet) obligeant le preneur à mettre la structure de son exploitation en conformité avec les dispositions du schéma directeur régional des exploitations agricoles.
Dans tous ces cas, si la fin de l’année culturale est postérieure à neuf mois au moins de l’événement qui cause la résiliation, celle-ci peut, au choix du locataire, prendre effet soit à la fin de l’année culturale en cours, soit à la fin de l’année culturale suivante. Dans le cas contraire, la résiliation ne prendra effet qu’à la fin de l’année culturale suivante.
En outre, le preneur qui atteint l’âge de la retraite retenue en matière d’assurance vieillesse des exploitants agricoles peut, par dérogation aux dispositions imposant à neuf ans la durée du bail rural, résilier le bail à la fin de l’une de ces périodes annuelles suivant la date à laquelle il aura atteint l’âge requis.
Dans ce cas, le preneur doit notifier sa décision (lettre RAR ou acte d’huissier) au bailleur au moins douze mois à l’avance. Dès lors, tout autre motif et notamment économique ou financier, avéré ou imminent, ne pourra être reçu par le bailleur ou par le juge si d’aventure le preneur souhaitait voir trancher ce sujet par la voie judiciaire.
Or, la difficulté que nous percevons est celle du preneur qui veut justement résilier le bail pour des raisons économiques, mais qui se trouve confronté à un bailleur qui n’a pas, de son côté, la solution de repli, consistant soit à exploiter lui-même (peu probable), soit à trouver un nouveau preneur dans les mêmes conditions financières et qualitatives, les autres opérateurs ayant une forte propension à réduire également la « voilure ».
La question est alors de savoir si, dans cette circonstance précise, le preneur peut obtenir la résiliation de son bail en prenant appui sur des techniques juridiques qui ne relèvent pas de la législation rurale propre- ment dite.
2.2 – La résiliation pour difficultés économiques
Tout d’abord, on doit se demander si le preneur peut arguer de difficultés économiques inédites nécessitant une révision du bail qui, si elle n’est pas acceptée par le bailleur, entraînerait sa résiliation. La technique dite de l’imprévision a en effet été introduite en Droit civil à l’occasion d’une vaste réforme du droit des obligations intervenue en 2016.
L’article 1195 du Code civil dispose ainsi que :
« Si un changement de circonstances im- prévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations du- rant la renégociation. En cas de refus ou d’échec de la renégo- ciation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux condi- tions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ».
Le recours à l’imprévision risque toutefois d’être assez rare : d’une part, elle ne concerne pas les baux conclus avant le 1er octobre 2016 ou ceux qui, conclus après cette date, ont expressément prévu de l’exclure ; d’autre part, il est a priori impossible de la faire jouer toutes les fois qu’il s’agit de réviser le montant du fermage à des conditions déjà régies par le Code rural, et qui ne prévoient justement pas la résiliation du bail en cas d’échec de la révision du fermage.
Ensuite, si le preneur est confronté à des difficultés économiques qui ont justifié l’ouverture d’une procédure collective, le Droit des entreprises en difficulté permet-il d’obtenir la résiliation d’un bail devenu trop lourd à tant soit à exploiter lui-même (peu probable), soit à trouver un nouveau preneur dans les mêmes conditions financières et qualitatives, les autres opérateurs ayant une forte propension à réduire également la « voilure ».
La question est alors de savoir si, dans cette circonstance précise, le preneur peut obtenir la résiliation de son bail en prenant appui sur des techniques juridiques qui ne relèvent pas de la législation rurale proprement dite.
Même si elle est rarement mise en œuvre à l’initiative d’un preneur, cette possibilité existe. Que le preneur fasse l’objet d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire , il peut en effet imposer à son bailleur la résiliation d’un bail, sous la réserve d’obtenir un avis favorable du mandataire judiciaire : pour l’obtenir, le preneur devra ainsi démontrer au mandataire judiciaire que la ré- siliation de tel bail contribuera à rééquilibrer la situation économique de son exploitation.
Une fois cet avis conforme obtenu et la résiliation notifiée au bailleur, il restera alors à solder les comptes entre les parties, le bailleur pouvant solliciter une indemnité pour rupture anticipée, et le preneur une créance pour améliorations.
En dehors de cette hypothèse, qui ne peut intervenir que si préalablement le preneur a sollicité l’ouverture d’une procédure collective, il apparaît donc que la résiliation d’un bail rural pour motif économique aboutira difficilement si le bailleur s’y oppose.
Devrait-on penser les choses différemment ?
Modification législative pour intégrer les difficultés économiques et financières avé- rées (quels critères retenir ?) parmi les motifs de résiliation du bail à l’initiative du preneur pour suivre ou anticiper les nouveaux modes économiques, réflexion de terrain à avoir entre les partenaires (bailleurs et preneurs) et les institutionnels, telles sont les pistes de réflexion que nous ouvrons.
> Alexandre BIENVENU et Philippe QUERON
Avocats au barreau de Bordeaux Membres de l’Association girondine des juristes du droit de la vigne et du vin
1. À l’exception de son décès (personne physique) qui n’est pas de son fait à de très rares exceptions, on en conviendra, entraînant la dévolution du bail à des conditions qui n’ont pas à être étudiées ici.
2. Il n’est pas faire référence à la liquidation judiciaire, mais il va de soi que la résiliation interviendra puisqu’une liquidation suppose la cessation de l’activité.